Un verre de bière de trop

Dimanche soir, dans le cadre de l’amélioration de mon japonais, j’ai regardé la télé avec l’idée qu’entendre cette langue même sans la comprendre était bon pour mon cerveau, avant qu’il ne la mette en veilleuse pour 7-8 heures, et que même comprendre une phrase sur dix était déjà un bon début.

  • En être là après quatre ans de Japon, franchement Mimi…
  • Even one siècle ! She has always been totally nulle !

Madame Moussemane Gisèle, ma prof d’anglais qui venait au lycée avec son caddie à roulettes et son french accent, dans le but essentiel de se foutre de mon anglais comme de ma poire.

La télé japonaise est paraît-il pire encore que la télé italienne, elle-même encore plus nulle que la télé française, ça vous donne à peu près une idée de son niveau. La télé française, perso je ne la regardais jamais, les autres le faisaient pour moi et je dois dire qu’au vu de ce qu’ils m’en racontaient, ça ne me faisait pas regretter de cocher frénétiquement Je n’ai pas de téléviseur dans ma déclaration d’impôts locaux.

Et bien côté Japon, au vu de ce que j’ai regardé dimanche soir, je ne suis pas prête à faire la bise et un chèque au percepteur NHK quand il se pointera chez nous (car oui au Japon, les percepteurs de la redevance télé font du porte à porte).

C’était une émission-jeu comme il y en a plein. Une élève m’a dit qu’on appelait ça bariéti, après intense réflexion, je pense que cela signifie, variety, variétés, peut-être mais pas franchement variées, toutes avec des quidams à la pelle assis sur des gradins et qui tous participent de leur bon mot au show, de la façon la plus extravertie possible, on doit pouvoir les entendre glapir et glousser jusqu’au fond des îles les plus reculées de l’archipel.

Après, moi la novice en la matière, je dois cependant leur reconnaître un certain talent dans la mise en forme. Reconstitution des plus précises possibles quand il s’agit d’un fait rapporté, bruitages, incrustations… le tout avec des commentaires de la part des invités, globalement tous si volubiles et extravertis que quelqu’un qui ne connaîtrait les Japonais que par ces émissions serait persuadé que c’est là le peuple le plus latin d’Asie.

On est loin du samourai le sabre entre les dents, de la geisha amidonnée ou de l’employé du bureau rabat-joie, petit doigt sur la couture.

Dans ces émissions, y a parfois des piliers façon guest stars. Ni animateurs, ni invités, juste fou ou folle du roi à demeure. Dans l’une d’elle par exemple, y a un petit vieux genre japonais retraité mais d’un genre hurluberlu avec cheveux teints et lunettes à la Stark, dans une autre encore, il y a une dame énorme à l’allure virile et revêche, qui fait plier la galerie de rire, on la voit aussi dans des pubs télé dans le métro, toujours avec ce même air si irrésistiblement mal aimable.

Dans mon émission du dimanche, pas de véritable guest star, juste un animateur, passe partout, et un invité, un jeune homme de 30 ans, beauté mâle japonaise typique, entendez ultra mince et efféminé, sur la mésaventure de jeunesse duquel (il avait 20 ans alors) tout le plateau s’est penché. Une aventure qui nous a été narrée dans le menu par le truchement d’un film-sketch digne des Inconnus des années 90 (sauf que les Inconnus c’était du second degré), avec ces incrustations sur écran à tire la volée qu’affectionnent tant les médias japonais.

  • Maybe it was second degré but with her level, impossible to understand if so…

Peut-être Gisèle mais en général, le second degré, c’est pas fort japonais. Ils aiment l’humour comme tout le monde mais pas au second niveau, you see ?

Dans ce petit film, on voit donc notre jeune homme en salary man, à qui son patron ? son sempai (aîné dans la place) ? lui propose à la fin d’une journée de travail particulièrement chargée de le raccompagner chez lui dans une voiture de luxe (yeux exorbités du jeune homme se posant sur la bagnole avec en incrustation à l’écran, ça doit valoir très très cher !!). Le jeune homme s’assoit donc, tout intimidé, sur le siège de cuir blanc, le gars lui tend une bière puis une autre. Le jeune homme en bon Japonais finit par s’endormir sur son siège, renverse sa canette à sa gauche, tandis qu’à sa droite son compagnon le réveille en lui tendant une douzième binouze.

  • Mais euh, qui conduit ?

Ça n’est pas dit. En tout cas, effroi du jeune homme, le siège à sa gauche est détrempé, foutu, dégueu, la panique… il essaie alors frénétiquement de le sécher avec sa manche, peine perdue, la tache est là, et bien là, stigmate ignoble de sa dommageable négligence, doit-il parler, doit-il se taire, dilemme quasi racinien retransmis avec force mimiques et incrustations.

  • Ce serait pas le policier du dimanche soir que t’aurais regardé dès fois Mimi ? non, parce qu’avec un tel suspens…

Bon, au final, il décide de la fermer, il se fait déposer et file sans demander son reste, le pleutre.

Le lendemain on le voit longer les murs, tentant d’éviter le patron ? le sempai ? le dragueur ? car maintenant cela me revient, sa façon de proposer de raccompagner ce kawai petit jeune homme puait le flirt. En tout cas, quand il le croise enfin, l’homme au siège taché ne lui dit rien, ou alors je ne sais plus lire les mimiques pourtant outrées sur les visages.

  • Your japonese seems to be aussi merdique que your english…

Thanks, Gisèle.

Du temps passe (pas beaucoup, si j’ai bien suivi) et un soir, un sourire sucré aux dents il re-propose au jeune homme de le raccompagner, le jeune homme hésite, oui, non, est-ce un piège, une occasion de régler les comptes, mais bravement, il finit par dire oui. Voilà donc la voiture, toujours aussi chic et chère, le regard du jeune homme tombe tout tremblant sur le siège outragé, tache, pas tache, la télé joue avec notre ardente attente, en faisant apparaître puis disparaître une flaque jaune sur le siège blanc très très cher, mais non, pas tache si j’ai bien compris. Ho, ha et glapissements divers de la foule dans le studio, ça va sans dire.

Après, il me semble que le gars refait le coup de la bière, vous en boirez bien une?, mais je ne suis plus très sûre.

  • Eh bien c’était passionnant Mimi…

Vient ensuite le débriefing de ce petit sketch sur le plateau. Le jeune homme ré-explique tout, dès fois qu’on n’aurait pas compris.

  • En même temps, pour toi c’est pas du luxe non ?
  • Yes ! I guess that she has rien du tout entravé !

Avec force gestes, notamment celui désespéré de quand il a tenté d’essuyer la tache de bière sur le siège, accompagné d’un bruitage éloquent zlippppppppppppp, le même pour tous ceux qui sur le plateau s’essaye ensuite à refaire ce geste zlipppppppppppppp pour mieux le commenter.

Puis chacun va de son hypothèse, je suppose, concernant les raisons du silence du patron au sujet de son siège salopé. Le jeune homme écoute passionnément, pour ne pas dire dévotement, chacune des hypothèses, hochant la tête avec force à l’écoute de certaines.

Puis intervient alors le pompon. Une lettre du dit chef ? sempai ? dragueur ? adressée au jeune homme qui en écoute la lecture exécutée avec force minauderies par une animatrice venue prête mainforte à l’animateur, lettre dans laquelle il me semble que la victime de l’outrage confie au jeune homme la clé de l’énigme, à savoir qu’il aurait tout simplement rêvé. Et qu’il souhaite le revoir. Vite. Avec joie. Excitation. Et même plus si affinités, mais non là j’invente.

  • Alors y avait pas de tache ?

Soyez pas déçus, j’ai sans doute mal compris car après le jeune homme se lève, et retenant avec peine ses larmes, qu’il laisse cependant juste ce qu’il faut humidifier sa cornée, il se met à déclamer comme tout naturellement un petit couplet mêlant excuses et bonheur d’avoir reçu via Marie-Yuko san, animatrice pliée d’une petite révérence, cette bienheureuse missive.

Mais bon, là j’étais un peu larguée et je me suis brutalement endormie (sans faire de tache sur le siège).

  • Et euh, tu n’as pas d’autres moyens que ce type de programme pour progresser en japonais ?

Quoiqu’il en soit, de deux choses l’une. Ou je ne comprends pas du tout le japonais et suis passée complétement à côté du sens de cette histoire et alors, le doute est permis quant à la valeur de cette émission, ou j’ai à peu près compris l’intrigue et là, c’est franchement inquiétant d’un point de vue niveau mental.

  • I guess she was once encore wrong understanding !

En tout cas, une chose est sûre, qui est parfaitement irritante, c’est que, comme dans n’importe quelle autre émission de ce type, ça sentait trop combien tout était mis en scène de A à Z, au point qu’on ne sait même pas si l’histoire advenue à ce jeune homme est vraie ou non. Bon vous me direz vu l’intrigue c’est pas fort dommageable, y a quand même des choses à potentiel nettement plus dramatique sur terre (genre, un habitant de Palmyre qui ébouillanterait par maladresse avec son thé un combattant de Daesh qui l’aurait pris en stop dans le désert).

Néanmoins, je me garderais bien de juger d’une quelconque spécificité japonaise en matière de nullité télévisuelle. Après tout, en France, nos émissions sont peut-être du même tonneau, à la fois tout aussi parfaitement affligeantes dans leur contenu quand bien même un poil imaginatives dans leur mise en forme ?

  • Mimi, sans incrustations ni zlippppppppppp, on a droit à une super émission-feuilleton en ce moment, ça s’appelle Les républicains !
  • You should regarder, it’s in french, even you, you can à peu près comprendre !

Si c’était en japonais, je regarderais bien, hein, même en anglais, Gisèle san, mais là en français, j’avoue que je n’en vois aucun intérêt. Mais alors vraiment aucun.

Une autre fois, je vous parlerai de la présentation météo sur NHk à 21h45 le soir, un autre de mes programmes favoris pour progresser en japonais, et là, je peux vous dire que la météo française, elle, elle peut aller se rhabiller !

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