C’est pas Descartes qui va les étouffer

Quatre années de Japon déjà. Je vous fais le poncif habituel : que le temps passe vite, que la vie file diablement rapidement jusqu’à sa mise en bière! Si vite qu’après presque un 5ème de siècle passé au Japon, je ne me sens toujours pas dépaysée, du moins débureautisée (le spectre du Syndicat du crime ès Livres me poursuit toujours, même dans mes rêves la nuit) ni même dé-quotidienisée du 9-3.

  • C’est normal, les femmes au foyer, elles font jamais que changer de domiciliation de foyer…

Certes, un quotidien avec enfants, ça reste toujours un peu le même, sauf à atterrir dans la campagne profonde japonaise et encore que, je suis à peu près sûre que les disputes de mes enfants, les vêtements et feutres ouverts tout partout, les gâteaux à moitié mangés, et les refus de se laver, ça serait à peu près la même rengaine qu’à Montreuil ou à Tokyo.

  • C’est aussi que les blancs quand ils s’expatrient ils restent entre eux à compter leurs sous, leurs gains locaux et leurs possessions diversement artisanales…

C’est pas faux sauf que nous, justement, on n’a pas grand-chose à compter, entre le racket de l’école française (10 000 euros par an), le loyer (2100 euros), les charges, la bouffe et l’avion une fois par an sinon nos familles et nos amis vont totalement nous oublier, on n’a pas cet énorme matelas d’argent que les expats, les vrais, se fabriquent en trois années d’ailleurs.

  • Ton problème, Mimi, c’est que tu as toujours été envieuse… pourquoi envier des gens qui pour faire la même chose sont payés le triple et n’ont aucune charge à payer hein ?

Et puis des expats, on en fréquente peu. Décidément, nous ne sommes pas du même monde, comme rétorquait l’Homme qui fracassait les crânes de femme sur les radiateurs à ce gourou imposteur de Messier. Une soirée de samedi, au demeurant sympa, m’en a définitivement convaincue. Trop de gens en réussite, sûrs d’eux et plein d’énergie positive, avec de vrais métiers même vains, à qui je n’osais même pas dire que je m’efforçais de devenir écrivain. A minuit, j’aurais vendu mes joyaux (en toc) pour mon lit et un bon livre…

  • Ton problème, Mimi, c’est que tu as toujours été déprimée… pourquoi être déprimée alors que tu écris des tas de trucs sans être jamais (re)publiée, que tu as passé un diplôme de prof de FLE qui ne te sert à rien et que même les concours littéraires de merde tu n’arrives plus à les gagner hein ?

Et puis, de fait, avec le système materno-esclavagiste de Fukuda, l’école de la Zouflette, on a, chose rare, un pied dans la vraie vie japonaise, le yoochien, que tant d’expatriés n’auront pas la joie ineffable de connaître… même si, en fait de vraie vie japonaise, Fukuda, c’est plutôt une bulle de quotidien globalement protégé car la vie au Japon sait être au moins aussi dure qu’en France avec des prix élevés, des salaires franchement bas, et pas de RTT.

  • Bon c’est pas tout ça mais il est où Descartes ?

Il vient que de ce que le vrai dépaysement, pour moi, après la langue, si difficile, c’est la fatigue littéralement psychique qu’engendre l’esprit si peu logique des Japonais. La logique est-elle universelle ou chaque culture possède-t-il la sienne en propre ? Sujet de bac 2015, Tokyo, j’ai 4 heures pour plancher dessus.

La première chose à dire c’est que les Japonais semblent avant tout préoccupés de répondre le plus étroitement possible au problème ou à la question posés, et pas plus. C’est peut-être parce que leurs examens sont essentiellement constitués de QCM qu’ils semblent toujours, avant tout, chercher la case où, non pas mettre une croix, mais un rond. Car ici, un rond signifie oui, et une croix, non.

  • Des cons quoi !

Je ne dis pas qu’ils sont moins ou plus intelligents que nous, je constate juste qu’il ne faut globalement pas attendre de leur part un esprit de prospection avancée. Si on leur donne peut-être toutes les données, sous forme d’une dizaine de questions soigneusement pensées, on peut peut-être arriver à un résultat satisfaisant mais est-ce normal de devoir en passer par là juste pour avoir une info complète…

Ajoutons à cela que toute action ou réflexion se fait dans un cadre bien posé, pour ne pas dire rigide, qui n’aide pas à battre les chemins d’école buissonnière si nécessaires à la créativité et à la richesse de pensée.

  • Des exemples ? Tu sais Mimi, le bac philo, c’est 90% de citations, et 10% de réflexion…

Eh bien, pas plus tard que cette semaine. Un exemple typique, à faire circuler dans tous les séminaires de préparation à l’envoi de cadres européens au Japon.

Une année après sa rentrée en nensho (petite section), je suis toujours en zéro pointé dans cette école que ma fille fréquente, écolière de 46 ans oubliant un jour les livres de la bibliothèque, une autre fois le pack de lait pour fabriquer je ne sais quoi, une autre fois encore les affaires de piscine… alors là, non ! On était mercredi, or il était écrit sur la lettre d’information reprenant de A à Z tout le protocole nécessaire à plonger des corps d’enfants âgés de 3 à 6 ans, une quinzaine de minutes dans une piscine de la taille d’un trampoline (soit une page entière d’explications), que les jours de piscines des nenchuu, c’est-à-dire les moyennes sections, seraient les mardi et jeudi, kanji du feu, kanji du bois, j’ai quand même appris ça nom de diou !

Certes, ce matin-là, j’avais refusé d’écouter ma fille qui assurait que ashita c’était aussi affaires de piscine, la maitresse l’avait dit, mais si Maman… Mais maman en cela, Japonaise à sa façon, n’avait voulu croire que la lettre d’info (le protocole !).

  • Mais non ma louloute, c’est écrit mardi et jeudi, t’inquiète !

Mais las… arrivée à l’école, je m’aperçois ce mercredi que tous les gosses sont venus armés de leur sac de piscine. Ma fille a commencé à pleurnicher, à cause de sa gourde de mère, elle allait encore se faire remarquer, c’était vraiment trop injuste la vie. Je lui ai dit de ne pas s’inquiéter, si une allait être fessée en place publique, ce serait moi, et pas elle.

Je prends donc mon sourire le plus humble pour dire à la maitresse que bordel de merde c’était pas écrit sur leur putain de feuille que le mercredi c’était aussi jour de piscine !!

  • Mimi, ne me dis pas que tu as flanqué la honte à ce grand pays, la France, cet ultime refuge de l’esprit de la République, contre les barbus, les femmes voilées et les gens sans humour ?!

Non, tante Babe, je te rassure, j’ai mis les formes, ma fille pleurnichant pendue à ma main droite. Et là, d’ailleurs, la maitresse me répond avec un grand sourire de réconfort (un vague clignement des yeux).

  • Aujourd’hui il n’y a pas piscine mais les enfants se mettent en maillot pour jouer sur la pelouse et s’arroser entre eux… mais comme aujourd’hui il ne fait pas beau, très froid même (euh 25 degrés), ils ne vont pas jouer dehors en maillot !

Ouf je me dis, en expliquant ça à ma fille.

  • Et n’oubliez pas le pack de lait pour demain, c’est absolument primordial, je ne réponds de rien sinon !

Bon elle n’a pas dit ça comme ça, mais j’ai senti l’Urgence.

Donc le jour d’après, le jeudi matin donc, j’arrive, très contente de moi. J’ai les affaires de piscine, j’ai les livres de la bibliothèque dans le petit sac jaune prévu à cet effet, j’ai même écrit en japonais une appréciation des livres empruntés comme demandé, et j’ai le pack de lait. Alors là, pour sûr, je vais être reçue haut la main !

  • Tu vas voir ma fille, je dis à la Zouflette, cette fois ta mère va être aussi bonne que les autres !

Sauf que las… à peine la porte franchie, je me rends compte que tous les gosses sont en uniforme de gym. La Zouflette se met pleurnicher, elle a vraiment la mère la plus nulle de tout Tokyo, c’est pas Dieu possible, elle va encore se faire remarquer, c’est vraiment trop injuste la vie.

Franchement énervée, je me dirige vers la maîtresse prête à me confondre en excuses ou à la défier en duel (hésite encore).

  • Ah mais c’est que c’était pas marqué sur la feuille, je bêle, il y avait écrit mardi et jeudi !! (c’est trop injuste !!)
  • Ah mais le jeudi, en juin comme c’est piscine ce jour-là, il faut mettre l’uniforme de la gymnastique comme le mardi… vous pouvez retourner chez vous le chercher ?

Euh non. Désolée. C’est 15 minutes aller, 15 minutes retour en vélo, donc non j’irai pas. Appelez la directrice, les flics ou l’Empereur, je n’irai PAS ! Allez-vous faire foutre !! Car là, oui, malgré mes résolutions d’être plus adaptée (une maman indienne dite la Parfaite, heureusement depuis réexpédiée aux US, m’ayant en son temps reproché mon côté par trop français), je la lui fais française mais poliment, c’est impossible, trop long, pas le temps, je bosse moi madame (j’ai une floraline à tourner et un texte à écrire sur l’esprit illogique des Japonais).

  • Ah…

La maîtresse hésite. Que faire quand une gaijin est visiblement décidée à violer le règlement.

  • Promis, maintenant que je le sais, je mettrai l’uniforme de gym mardi ET jeudi, au revoir, bonne journée, ciao !!

Et je me tire, vite. Faut jamais leur laisser le temps de réfléchir 10 secondes de trop.

Sur le chemin du retour, j’ai croisé de ces bonnes mères qui rentaient chez elles rechercher l’uniforme de gym de leur enfant… uniforme qui, parenthèse, ne servirait à rien d’autre que d’être enlevé ce jour-là, pour enfiler un maillot et un bonnet de bain, puis remis au bout de 15 minutes, sans avoir été utilisé comme le mardi à faire des cabrioles, de la corde à sauter ou que sais-je encore, c’est qu’ils ont des cours de gym pas franchement Nadia Comaneci par ici.

Le Français est peut-être trop râleur et de mauvaise volonté, mais le Japonais ferait cependant bien de s’y mettre un peu aussi.

  • Bon ben, et Descartes dans tout ça ?

Eh bien Descartes, pour moi, ça veut dire LOGIQUE. Or, quelle est la logique de tout ça ? Parce que qui dit piscine, dit sport, il faut mettre le costume de gym même si de la gym, on en fait pas avec le dit costume de gym ? Et est-ce si fondamental que de pauvres femmes qui ont autre chose à faire doivent rentrer toute affaire cessante déshabiller leur enfant puis le rhabiller en bonne et due forme ? Et surtout, surtout, expliquez-moi pourquoi cette maîtresse, une fille jeune, intelligente je suppose, en tout cas volontaire et structurée, n’a pas pu me dire, hier, ça :

  • Aujourd’hui il n’y a pas piscine mais les enfants se mettent en maillot pour jouer sur la pelouse et s’arroser entre eux… mais comme aujourd’hui il ne fait pas beau, très froid même (euh 25 degrés), ils ne vont pas jouer dehors en maillot ! MAIS DEMAIN, SURTOUT, COMME C’EST JOUR DE PISCINE, N’OUBLIEZ PAS DE METTRE L’UNIFORME DE GYM A VOTRE FILLE !

Je crois qu’en France, seule une employée de Mairie de Montreuil ne l’aurait pas dit. Non par ignorance mais par pure vice, pour le simple plaisir de mettre dans la merde l’administré et avoir également celui tout aussi délectable de lui faire perdre son temps, voire avec un peu de chance, une journée de RTT.

Mais ici, des histoires d’informations non exhaustives qui vous compliquent la vie, par pur manque de logique, sans plaisir ni vice, c’est légion. De fait, on ne répond toujours qu’à une partie du problème, et le reste n’est pas considéré, ce qui occasionne erreurs, perte de temps, frustration, colère et ressentiment… de la part des non Japonais du moins. Un Français qui travaille dans une boîte japonaise à la papa, a 98% de chance de finir nipponophobe au bout de 3 ans… si sa femme n’a pas déployé un talent de connectivité sociale inouï pour lui faire rencontrer des Japonais et Japonaises qui lui montrent un autre visage de ce Japon qui lui fasse finalement articuler, ah ben c’est sûr, tout n’est pas noir, tout n’est pas blanc… Japon dont on se demande bien pourquoi il réussit à être encore dans les premiers économiquement du moins sur le plan mondial !!

  • M’est avis qu’avec les Chinois, ça va pas durer… sauf si les Chinois ont aussi Descartes en moins dans la tête…

On le dit souvent : le Japon est un pays de bons, très bons petits soldats, que vous ne trouverez que plus rarement en France. Allez étudier une employée de la mairie de Montreuil et vous m’en direz des nouvelles. Un pays où les choses fonctionnent bien, voire très bien, grâce à une volonté et un esprit collectif qu’on ne se connait que peu par chez nous.

  • Madame, c’est pas avec mon plafonnement de salaire depuis plus de 10 ans que je vais me mettre en quatre pour vous donner l’heure exacte !

L’employée de Marie de Montreuil, de retour de sa pause-café.

Le problème, c’est au niveau des chefs. Le Japon manque de têtes pensantes, paraît-il, carence qu’il pallie en en important (le père de mes enfants par exemple), ou bien en se mettant à dix cerveaux sur un sujet, en cela opiniâtre et viscéralement optimiste, battant même, avec ce côté Shadock (pompons, pompons, on va bien finir par y arriver) qui fait qu’au bout du compte, quelque chose sort du chapeau.

  • Eh bien, s’ils n’ont pas Descartes, ils ont au moins Rouxel dans la tête…

Bien sûr, il y a des Japonais logiques, au sens où on l’entend, c’est-à-dire capable de poser toutes les données d’un problème à résoudre, et de le résoudre, vite. Le must étant un Japonais qui a vécu à l’étranger, qui s’en revient, et se met à la tâche, fort de deux façons de voir et de penser ce que l’on voit. Mais attention, si ce Japonais a vécu un peu trop longtemps outre océan, il risque fort de s’enfuir à toutes jambes d’une entreprise nationale demeurée identique à celle que son père, voire son grand-père, a fréquenté en son temps reculé désormais. A moins de finir chez les fous, ça c’est déjà vu.

  • Ouais donc pour toi, la logique, c’est universel ? Enfin la nôtre quoi…

Eh bien, en tout cas, dans ce monde hyperconnecté qu’est le nôtre, il est difficile de se dire qu’on va se passer de Descartes (façon de parler), du moins si on veut y faire sa place. Si on veut fabriquer des choses que l’on compte n’utiliser qu’en soi, fermer les aéroports et instituer une économie fondée sur l’autarcie, alors ma foi…

Mais bon, quoiqu’il en soit, répondre à quelqu’un qui demande si votre adresse est bien le 9, car la sienne est justement elle est aussi le 9.

  • So desu… en effet…

Sans lui signaler qu’il y a deux familles différentes qui habitent au numéro 11, de même pour le 10, et que donc, on est peut être également deux familles au 9 deshoo ? Eh bien outre que cela ne demande pas une logique folle, ça fait gagner du temps !!

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