Personne n’aime la guerre

Bon, ça y est. La Mimi est rentrée de ses vacances françaises. Elle a accusé réception du mail vachard de Marcelline Tartifiole du Dilettante concernant ses nouvelles (concept : vous accueillez d’un bon coup de pied bien appuyé dans le ventre, pof, un coureur de fond jugé à la fois trop lent, trop gras et très antipathique, et ce, malgré ses efforts visibles et un état de fatigue patent… la classe quoi), puis elle s’est pris le bec virtuellement avec Marie-Coline, une grande gigue plutôt sympathique appariée à un Japonais qui lui doit l’être moins si j’en juge par les idées de son épouse d’importation, prise de bec dont le sujet était sur la loi de révision constitutionnelle japonaise.

Pas un crêpage de chignons de pétasses quoi.

On pourrait croire que les japonais comme les allemands ou les français sont globalement conscients de s’être comportés comme des porcs dans les années 30 puis la seconde guerre mondiale, qu’ils savent désormais que dans tout peuple, y compris le leur, il y a du bon et du moins bon, et qu’un ministre estampillé nationaliste qui s’apprête à réviser une constitution pacifiste dans un sens plus martial, n’a a priori pas des inclinations très marquées côté paix… Ben non, on pourrait croire mal, car lisez ça, c’est instructif.

  • La loi de modification de la constitution ? Les milliers de manifestants contre ? Mais tu n’y es pas du tout, ma pauvre Mimi, c’est de la pure désinformation ! Abe san essaye juste de défendre son pays comme les hordes fanatisées des Chinois et des Coréens qui veulent s’en prendre à son territoire ! C’est un pacifiste comme tout le monde mais il a aussi la responsabilité d’assurer la sécurité de son peuple !
  • Excuse-moi, Marie-Coline mais euh… c’est du second degré ?

La Mimi, interloquée. En général quand on poste sur Facebook un article sur les manifestations de citoyens contre une réforme constitutionnelle allant dans un sens militariste, on a plutôt des Like et tout le monde se bat pour piquer l’article, car c’est à qui sera le plus éclairé, le plus pacifiste, le plus…

  • Tu vis où Mimi ? Chez Bécassine de la Bisounours? On n’est pas en Europe ici ! On est au Japon !
  • Ah tiens ? Je me disais aussi…

Mimi, essayant un pâle humour.

  • Tu parles de toi en disant elle maintenant ? De mieux en mieux ma fille…

Oui vous avez raison, reprenons le contrôle. Alors je lui dis, droit dans l’écran :

  • Mais enfin Marie-Coline, les Japonais se reconnaissent majoritairement dans cette constitution pacifiste ! Et puis Abe san, sauf ton respect, c’est quand même un sacré révisionniste limite facho ! Comment peut-on le croire quand il dit que ses intentions sont malgré tout pacifistes ? on a plutôt l’impression qu’il veut chercher la castagne ! Qu’il va refaire ce qu’a fait son putain de papi facho dans les années 40 !
  • Mimi tu es manipulée…

Ah c’est marrant je pensais justement ça de toi.

  • … on en Asie ! ici ! pas en Europe ! La Chine est un immense pays menaçant et fanatique ! Abe DOIT défendre son pays !
  • Mais quand tu parles de défendre son pays… tu veux parler du tas de cailloux dans l’eau qu’ils se disputent ?
  • Notamment ! pas que mais ça aussi. C’est à NOUS ! pas TOUCHE ! tu leurs donnes une île, ils te prennent toute la péninsule !
  • Franchement Marie-Coline, tu serais prête à ce que tes filles meurent pour ça ? ce tas de caillou ? Moi pas ! et puis, faut voir qu’il y a un sacré gros passif avec la Chine et la Corée, pas étonnant qu’ils chantent pas les louanges des Japonais tous les jours que le soleil se lève… la colonisation, les femmes de réconfort, les bombes… toutes ces horreurs que les Japonais comme Abe ne veulent pas reconnaitre…
  • Ah parlons en des bombes ! parce que les deux bombe A sur le Japon c’était quoi pour toi ? de la tarte à la crème ?
  • Un truc ignoble bien sûr ! mais qui malheureusement permet à beaucoup de Japonais de faire l’impasse quant à la responsabilité qu’ont eu leurs grands-parents dans les horreurs de cette époque… horreurs qui ont mené entre autre à ces bombes atroces qui ont été parailleurs surtout lancées à titre expérimental puisque si y a bien un truc qui n’étouffe pas les Américain c’est la…
  • Tu sais, Mimi, ici on n’est pas en Europe et quand j’entends les horreurs que disent sur les Japonais, ces barbares chinois et coréens je comprends que des Japonais craquent et les comparent à des cloportes, des rats, des cafards, des scolopendres, des…

Le barbare c’est l’autre, ça, ça fait pas un pli.

Le coup de grâce m’a été donné par la charmante et délicieuse dame japonaise que je fréquente de temps à autre, fille d’ambassadeur, veuve d’ambassadeur, mère d’ambassadeur, une sexagénaire polyglotte, cultivée et dotée d’un rire clair de jeune fille. Mimie san, elle s’appelle, et moi, c’est Mimi, mais vous ne risquez pas de nous confondre…

Nous deux, dans un sushi bar, posées devant un mur d’où surgissent régulièrement des sushis comme propulsés par un canon de fusil à pompe, qui viennent s’arrêter miraculeusement, sans jamais se tromper, devant chacun des clients concernés, dotés d’un numéro.

  • Shinzo Abe ?! Révisionniste ?! Mais jamais de la vie !
  • Mais enfin, Mimie san, il a été vu en train de prier dévotement au yasukin jinja !
  • Jamais de la vie ! Il n’y a jamais mis les pieds !
  • Euh tu en es sûre ? En tout cas il est nationaliste !
  • Mais pas du tout ! Shinzo Abe n’est certainement pas nationaliste !
  • Mais il refuse de reconnaître les horreurs de la colonisation japonaises sur les coréens les chinois ! Il n’a jamais fait ses sumimasen !
  • Comment ça ? Pour faire ses sumimasen, ça, il les a faites ! ah ça !
  • Euh tu en es sûre ?
  • Parfaitement ! Et puis tu sais quoi, ma petite Mimi, je vais te dire une chose… tiens goûte ce sushi au thon, c’est à se taper la geita sur le bide…
  • Non merci Mimie san, je ne mange jamais de thon brun, les dispositions internationales interdisent qu’on le tue… c’est une espèce protégée tu sais et…
  • Ah bon ? Je suis sûre que non ! Le thon vert peut-être… mais pas le brun !
  • Le thon vert ? ça existe ça Mimie san ?
  • Qu’importe ! Ecoute moi ma petite Mimi… écoute moi bien… tu sais, il faut bien te dire une chose… très importante… c’est que… ah que ce thon brun est à se rouler sur son obi… personne n’aime la guerre !
  • Je n’en suis pas si sûre Mimie san parce que quand tu rega…
  • Moi si ! A 100% ! Seulement voilà, parfois, on n’a pas le choix… c’est comme ça… alors la guerre, on la fait !
  • Ah… par exemple… Pearl Harbour, vous n’aviez pas le choix c’est ça ?
  • Tout à fait !
  • Mais Mimie san, tu m’excuseras, mais choix, il y avait… et puis personne n’aime peut-être la guerre mais il y a surtout un paquet de gens que ça ne dérange pas d’envoyer les autres la faire, et puis, entre les casques bleus qui violent, les hutus qui mâchettent, les snipers de Sarajevo qui snipent, les…
  • Goûte moi ça, Mimi, c’est typiquement japonais, ça s’appelle chawanmushi… tu ne peux pas quitter le Japon sans savoir ce que c’est… c’est à se rouler le maki concombre dans le gosier… euh tu disais Mimi ?
  • Je disais que… je pense qu’il y a un paquet de bonshommes qui l’aiment la guerre ! Parce que grâce à elle, ils existent ! Ils ont un rôle ! ils ont du pouvoir ! Et surtout, ils peuvent donner libre cours à leur frustration de petite bite !
  • Bite ? ça veut dire pénis c’est ça ?

Mimie san très sérieusement, derrière ses lunettes à grosse monture et dans son kimono argenté avec des grues en boucle. Si raffinée. Oh j’ai honte.

  • Euh oui c’est ça…
  • Mais cela veut dire quoi au juste ?
  • Eh bien… que certains hommes ont une frustration de euh… mal bai… euh je dirai que l’envie de ce qu’a autrui les taraude, leur vie est nulle, étriquée, sans horizon, alors s’ils peuvent se trouver un rôle avec un fusil dans les mains et une femme sous leur botte, ils sont prêts à l’aimer la guerre tu vois…
  • Je vois… Mais Abe san lui n’a pas de frustration, juste le sens de ses responsabilités, et à notre époque, si on est responsable, on a sa propre armée… mais tu sais Mimi, je crois quand même, que personne n’aime la guerre…

Mais on aime bien la faire faire, ça, y a pas de doute. J’ai piqué du nez dans mon chawan chose et on a parlé des banlieues françaises, pour détendre l’atmosphère. Faut toujours bien souligner les tares de sa propre nation pour pouvoir discuter de celles de votre interlocuteur.

En tout cas, ce qui est bien c’est que ce genre de considération, on peut la mettre à toutes les sauces.

  • Tu sais, Mimi, personne n’aime l’énergie nucléaire…
  • Tu sais Mimi, personne n’aime utiliser des pesticides mortifères…
  • Tu sais Mimi, personne n’aime vendre des armes…
  • Tu sais Mimi, personne n’aime voir un enfant de 3 ans échoué sur une place sans sceau ni pelle…
  • Tu sais Mimi, personne n’aime chasser son voisin chinois (ou turc ou italien ou danois…) à coups de machette (de fusil, de couteau, de pierres, de coups de pied au cul…)

Etc, etc.

Et moi pour ma part, j’ajouterai, personne n’aime être pris pour un con.

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