Une petite robe noire

Concernant l'expédition, je suis partie avec Aveline en Conseillère. Elle rentrait de vacances, elle était partie en Corse, faire du dada dans la montagne, et elle revenait amourachée de son guide, un fier Autonomiste avec du poil même sur les oreilles. Elle n'avait pas osé, lui non plus et comme il n'avait pas internet dans sa bergerie de repli (bon ok, je clichote), c'était cuit.

  • Quand même, je lui ai dit, même pour un simple aller, t'aurais du offrir ton corps non?
  • Je voulais autre chose… elle m'a dit en rougissant.
  • Quoi? J'ai bêtement demandé.
  • L'amour… elle a murmuré comme si c'était méga honteux.

C'était méga honteux.
 
C'était pourtant pas parti pour être drôle, cette expédition mariage-de-la-cousine-qu'on-voit-jamais mais qu'est-ce qu'on a rigolé. Comme si on n'avait pas nos ovaires à caser d'urgence et l'épée du ramollissement corporel au-dessus de la tête.

On a commencé par les Galeries Lafayette à cause de l'affiche qui laisse à penser que c'est axé sur le mariage. En chemin, on a discuté du mariage. Pour moi, le mariage, c'est de la daube, c'est comme causer poésie avec un Nazi, comprenez que c'est antinomique avec l'amour. Je parle du mariage socialement organisé avec chéquier (et amis croulants) des parent, exhibition de la fortune, tu les as vu mes bijoux de famille, robe qui a coûté un demi appart et qu'on ne remettra que pour jouer à la princesse Cucul avec ses enfants (nés généralement 9 à 11 mois après le mariage), curé pour faire plus profond alors qu'on sait même plus si c'est Jésus ou la Marie qui a accouché de Dieu, tables décorées comme à Versailles, danse avec papa, danse avec beau-papa, danse avec monsieur Bridoux, l'inventeur du saucisson, qui a fait fortune dedans et qui a bu tous les restes de bouteilles sur la table, sois gentille avec lui ma chérie. Sans oublier les mises en boîte, parfois cradingues et vicelardes, genre règlements de comptes larvés. Aveline n'était pas tout à fait d'accord. Elle disait qu'elle aurait bien aimé se marier, avec la robe et tout, mais à ses frais et en comité réduit. Présentement, elle se voyait vêtu de blanc avec son berger corse, monté sur son beau cheval noir. N'importe quoi.
 
Aux Galeries, y avait que des trucs moches et chers. Pour le fun, on a essayé des marques que même en économisant quarante ans, on n'aurait pas pu se payer. On s'est pavanées devant la glace avec la vendeuse qui nous asticotait.

  • Oh elle va vous va à merveille! Elle est faite pour vous! Vous vous mariez quand?

C'est là qu'on a réalisé qu'on était en train d'essayer des robes de mariées. On n'a tellement pas l'habitude.

  • Ce qu'il te faut, c'est une petite robe noire… a déclaré Aveline.
  • Mais ça va faire enterrement non?
  • Bah, le mariage est une forme d'enterrement si on en croit les libertins! Elle a gloussé. Et puis, c'est CLASSE!
  • Ma foi… en plus, je pourrais la remettre pour aller au bureau classer mes dossiers…

On a mis le cap sur des magasins plus accessibles pour des filles sans le sous même une future grande héritière comme moi. On a essayé tout ce qui était possible et imaginable mais c'était à se tordre. Tous les magasins vendaient les mêmes trucs, hauts sans manche, du genre à vous tomber sur les seins dès la première danse, pulls à troutrous, robes fleuries à pleurer, jupes putasses, etc etc. On rigolait beaucoup à essayer des trucs qui nous faisaient ressembler à des putains ou des lolitas en retard, mais bon, ça ne faisait pas avancer le cheumileublique.

  • Dis, m'a fait soudain Aveline, tu m'as pas dit que t'avais rapporté du tissu pour faire un sari de ton voyage?
  • Oui mais…
  • On passe le chercher, on le fait tailler rue du faubourg saint Denis, et je t'assure, ma vieille, t'auras l'air d'une reine!
  • Mais tu sais, c'est un mariage assez classique…
  • Ben et alors, le sari, c'est pas la tradition?! Et puis zut, lance toi un peu!
  • Ma foi…

Piquée au vif, je me suis dit, après tout, pourquoi pas. Amusons nous folle ville ! Comme dit ma mère quand elle jubile. On est passées chez moi, on a raflé le tissu et hop, nous voilà parties pour la rue du faubourg saint Denis. On est entrées dans le magasin comme deux pucelles dans un sex shop et toutes les dames nous ont regardées avec inquisition.

  • Euh… je voudrais me faire un sari… j'ai balbutié.
  • Un sari? Mais pourquoi faire donc?! S'est exclamé le marchand, gras et gros.
  • Ben euh… pour aller à un mariage…
  • Vous épousez un Indien?! S'est exclamé avec horreur une des dames.
  • Non… c'est ma cousine qui se marie…
  • Avec un Indien? A demandé le marchand d'un air peu amène.
  • Non, un Breton…
  • Ah, j'aime mieux ça… il a fait. Les Indiens, c'est pas facile tous les jours…
  • Quoique… a fait une des dames, le fils de ma sœur a épousé une française, eh bien, c'est un couple très solide… certes, elle est d'origine alégrienne mais bon…
  • Euh… le sari, c'est possible? J'ai demandé.
  • Of course! Namaste! A jubilé le type.

Il m'a fait entrer dans une petite pièce toute noire. J'ai exigé la présence rassurante d'Aveline. Je me suis retrouvée en culotte tee-shirt, comme chez le médecin, mais je dois dire que le type avait l'air de s'en fiche. Il m'a drapée dans le tissu, s'est fourré une tonne d'aiguilles dans la bouche et a commencé à m'ajuster toute cela.

  • Bouchez pas… lever le brache… hum hum… hi… ha…

Etc. Le tissu était rose et vert, il m'a félicité sur son choix et m'a demandé où je l'avais acheté.

  • A New Delhi… j'ai dit.
  • Une ville de fous, il a fait en secouant la tête pas content, des gens mal élevés, discourtois, et voleurs avec ça…
  • Vous venez d'où?
  • Paris X, il m'a répliqué.
  • Oui mais avant…
  • Madras… Chemai quoi…
  • J'aimerais bien aller dans le sud, j'ai soupiré, le Kérala…
  • Des gens feignants, des bons à rien… non, c'est pas comme les gens de Madras… Chemai quoi…

Avec Aveline, on s'est retenues pour pas pouffer. Elle a battu des mains une fois que c'était terminé. C'est super, elle m'a fait, t'as l'air d'une fleur et tu vas CHOPPER ! On aime bien dire ce mot, laid et plus de notre âge, surtout quand il s'agit de mariage-de-la-cousine-qu'on-voit-jamais, classique quoi.
 
Le marchand m'a dit de revenir dans deux jours et de ne pas trop m'empiffrer car il avait serré au plus juste. Je me suis presque réjouie de ce mariage, pour le coup, j'allais avoir un chouette costume. On a finit la journée dans un petit resto indien, à s'empiffrer justement, en buvant un rouge-migraine mais tant pis, on en avait trop envie.

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