Kénavo (partie III) 1

Je me suis donc couchée à pas d'heure, le crâne plein de vin mais le cœur pour une fois grisé. Camille gisait sur une chaise, les cadavres de ses chaussures à côté de ses pieds martyrisés, tandis que son mari vivait, sans doute, sa première et sa dernière cuite de sa vie (il gisait lui aussi mais sous la table, la bouche ouverte et les chaussures aux pieds). Sa famille (moins Gaston), pour sa part, était partie se coucher dès 23 heures pétantes, une fois le discours à la Nation du Pater prononcé. De bien grands fêtards comme vous pouvez le constater.

J'ai pas beaucoup dormi parce qu'on m'avait aimablement installé mon matelas dans la chambre de Melville et de Kléber, avec Colombe qui a fait comme Ernesto (elle est sortie de son lit pour la sixième fois de la soirée et s'est couché sur ma tête). J'aime le traitement hospitalier généralement réservé aux célibataires : chambres les plus moches, matelas dans le séjour sous les pieds des fêtards pas pressés de ronfler, voire tente dans le jardin, avec réveil obligatoire avant 8 H 00 (les enfants) après s'être couchée la dernière (attendre que les derniers fêtards aient décidé d'aller se coucher). Quand je serai plus célibataire, j'imposerai aux couples de dormir par terre dans le salon, parmi les mégots et les odeurs de vin, afin qu'il ne manquent pas, par ailleurs, le lever des enfants (7 H 00 du mat).

Je me suis levée, mal de tête, affreux. J'ai enfilé un jean et un pull, le frimas, et je suis sortie me promener au bord de la mer, près du port de Kimperlé, le village où la fête de mariage avait eu lieu. J'avais trop bu la veille et le réveil matinal occasionné par les monstres de Madeleine (qui elle ronflait encore joyeusement à cette heure, « tu comprends, pour une fois que je peux me reposer… ») ne m'aidait pas plus à marcher droit. C'est pour ça que quand je L'ai vu, j'ai cru à un mirage (un énième).

  • Salut.
  • Salut.

On se sentait pires que des crêpes aux nouilles. Ah oui, le mirage, c'était Lui, Marc. Même avec 3,7 grammes dans le sang, j'avais réussi à enclencher la machine à fantasmes depuis hier soir, 2 heures du mat. Je nous étais vus (quelque chose comme ça) faire environ 6 fois l'amour, la sixième ayant été salopée par la survenue brutale de Colombe dans mon lit (a peur). J'avais construit environ 12 dialogues et imaginé 20 sortes de messages que je pourrais laisser sur sa messagerie, nénet ou bien tétéléfon. Ce qui explique que, soudain propulsée face à lui, je n'arrivais pas à articuler autre chose que salut, salut, salut.

Heureusement, il a rit et il a suggéré qu'on aille se prendre un petit-déjeuner. Il errait dans ses parages dans le même objectif que le mien, s'aérer le cerveau, et il n'avait rien avalé depuis la veille.
 
On est entré dans une crêperie et après deux bolées de cidre (toujours combattre le mal par le mal), les chiens étaient rompus (quelle expression à la con mais c'est ma tante qui dit toujours ça). On a décidé de partir en vadrouille dans le coin, visiter un romantique calvaire bourré de symboles mortuaires, à compléter avec un ossuaire, toujours un grand moment d'optimisme. Le ciel était instable, trouées de bleu et folle allure des nuages, mais on a quand même décidé de le faire en bicyclette (20 points pour lui qu'il ne m'ait pas fait le coup de la voiture de sport avec toit ouvrant bloqué en cas de crachin virant ouest trempé…). On les a louées sur le port et on a allègrement pédalé dans le vent, le long de la côte, c'était méga merveilleux. Bien plus merveilleux que dix Ladakh avec dix Babas, bien plus merveilleux que de saisir mes factures au boulot mais là c'était normal.

Qu'est-ce que la philosophie ? M'en bats les mamelons, seul comptait le vent dans mes cheveux et le derrière du cycliste devant moi qui se dandinait au grès des falaises.
 
On s'est arrêté dans une crique et on s'est longuement embrassé. Drelin drelin, c'était son portable. Pourquoi ça captait, merde. Il a fait allo (-20 points de répondre alors que j'étais là, offert comme une beurre sucre), puis il a pris un air contrit. La personne vociférait au bout du fil. Une voix de femme. J'ai senti mon ventre se tordre comme un essuie-tout de lendemain de fête et j'ai été cacher mon désarroi niais au bord de l'eau (toujours pareille, tu démarres au quart de tour, même pas couché une seule fois ensemble que déjà, tu l'installes à Tintamarre, avec une place réservée à côté d'Ernesto derrière le frigidaire). Il est venu me retrouver, il m'a serrée dans ses bras et m'a dit d'un ton solennel :

  • Ma grand mère a cassé sa pipe.

Mais non, je rigole. Il m'a dit que c'était sa logeuse, qui râlait de ce qu'il avait pas signé son chèque, il le ferait plus tard. Après la baignade. J'ai senti quelque chose comme une énorme vague de joie se soulever en moi. Un soulagement digne d'une rescapée d'un service d'oncologie. On s'est déshabillé et on s'est baigné follement dans les rouleaux bretons, nus et tout. Mais non. Il caillait velu, on a juste trempé les pieds, en marchant le long de l'eau, en se tenant gravement la main.

Je cherchais quoi dire mais j'achoppais. Raconter mes expériences anthropologiques ladahkies ? Nul. Ma vie ouvrable ? Archi nulle. Confesser mon penchant pour la souris-plume et mes déboires castrants d'avec ces gros enculés d'empaffés d'éditeurs de merde de mes couilles virtuelles ? Trop impudique. Trop secret. Finalement, on s'est embrassé (re) et on a dû filer rejoindre qui sa proprio, qui sa famille (qui devait tambouriner sur la place du village en hélant mon nom).
 
On s'est dit, on se revoit à Paris, hein, la semaine prochaine. Il a ajouté d'un air profond, qu'est-ce que je suis heureux d'avoir fait ta connaissance… Kénavo*, Marie! 
 
Je me suis répété au moins cent fois cet hadith dans ma tête sur le chemin du retour. Marc, mon coran à moi, j'ai braillé aux mouettes. Ce qui fait que quand je suis arrivée en plein milieu du déjeuner de la post-noce, les cris et les insultes du clan familial m'ont glissé dessus comme du guano sur de la toile cirée oubliée sur la plage (t'étais passée où? T'as manqué le discours matinal du beau-père! Enlève ce jean! Mets une jupe! Coiffe toi! Arrête de boire! Etc)
 
Qu'est-ce que je suis heureux d'avoir fait ta connaissance. Qu'est-ce que je suis heureux d'avoir fait ta connaissance. Qu'est-ce que je suis heureux d'avoir fait ta connaissance. Qu'est-ce que je suis heureux d'avoir fait ta connaissance…
 
J'avais hâte de rentrer à Tintamarre. Et d'être la semaine prochaine, qui commençait demain.

* ça veut dire au revoir en breton bigouden

One comment on “Kénavo (partie III)

  1. Reply L'Ignoble Douteux Sep 4,2006 18:40

    C\’est ça, ma pauvre fille, visiblement, ce garçon n\’est pas pour toi… cette histoire de logeuse, tu y crois vraiment? Allez, jouis dans ta tête et prépare toi à resortir ton concombre de lendemain de fête… :grin

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