Marie a le blues (des suites du mariage I, II, III) 1

Lundi, rien. Mardi, rien. Mercredi, rien. Je parle bien entendu d'un hypothétique message de l'Homme de Kimperlé (se reporter aux épisodes précédents, pas le courage du tout de répéter).
 
Le lundi, j'ai réussi à tenir à peu près le coup. On devait plancher au boulot sur « la lettre de refus qui ne dit pas non mais refuse quand même » (je conseille aux éditeurs, enfin, ceux qui ont encore le temps d'écrire aux pauvres connards qui croient encore qu'ils vont être un jour publiés). Ce qui était au départ une énorme baveuse de corvée est devenue une vaste partie de fous rires…
 
Monsieur,
 
Malgré l'extrême qualité de votre dossier, la commission sociale a préféré vous non allouer une aide financière, dans le but de préserver la fraîcheur de votre éternelle et admirable révolte…
 
(à un artiste de 95 ans qui nous abreuve d'insultes depuis des lustres et que l'on a baptisé le vieil harpon)
 
Mademoiselle,
 
Votre talent égale la taille de votre jupe. En conséquence, nous y ajustons notre aide. Veuillez ainsi recevoir ce chèque de 0,00 euros correspondant à…
 
(à une nympho qui est persuadée qu'elle a réinventé le nouveaux vieux roman de fesses tout ça parce qu'elle porte pas de culotte)
 
Etc.

Mardi, j'ai commencé à sombrer. Persuadée par Ernesto qu'à l'homme, le premier pas, est une vieille lune suicidaire, je lui ai envoyé un message. J'ai fixé l'écran toute la sainte journée, renonçant même à aller cuver mon angoisse à la cantoche, mais rien de rien. J'ai appelé six fois l'informaticien pour lui demander si mon internet déconnait, et quand il m'a dit ben non, vous voyez bien que vous recevez des messages (un message d'insultes du vieil harpon), j'ai failli éclater en sanglots. Il m'a dit que je prenais mon boulot trop à cœur et m'a proposé d'aller boire un verre après le boulot (quand on a un mec, les autres accourent, c'est bien connu, mais je n'ai PAS DE MEC, justement… à moins que… j'y ai vu un signe : quelque part, on devait toujours être ensemble, Marc et moi, d'où que l'informaticien me propose la pinte).
 
Le soir, le petit prince, qui passait par là, m'a dit que j'étais une vraie pétasse, envoyer la première un message, c'était se griller à coup sûr… J'ai poursuivi Ernesto jusque derrière le frigidaire et il m'a tiré la langue en me disant, les grenouilles sont moins nouilles, elles font ça rien que pour les œufs, l'amour, ça n'existe pas. Super. J'ai bu plus que de raison, après avoir essayé de joindre Aveline qui était en train d'agoniser devant sa boîte aux lettres (15 jours qu'elle a écrit à son berger corse).
 
Soit il se passe rien (pendant). Soit il se passe rien (mais après). On n'avait même pas encore baisé, j'ai gémi au téléphone, il aurait pu au moins m'accorder ça… Vous remarquerez au passage combien l'âge et les années d'errance arrivent à faire d'une fille à peu près normale, indépendante et active, une créature digne d'une concubine oubliée dans un coin de harem.
 
On s'est dit avec Aveline, on se tient au courant, craque pas, jeudi soir, au plus tard, on s'fait une bouffe !
 
Mercredi, j'ai sombré totalement. Baba, venue m'apporter mes courses comme si c'était moi la vieille, a joué les ânesses :

  • Je ne comprends pas… tu l'as vu une soirée et ça te met dans cet état là?!
  • La pénurie, baba, le manque… tu dois connaître ça avec la guerre non?!
  • Je ne te suis pas, ma fille… tu ne le connais même pas, ce garçon…
  • Il avait l'air si bien…
  • Et il ne s'est rien passé entre vous…
  • On s'est embrassé Baba!!!
  • Embrassé… à notre époque!

Merde et merde. Comprenait rien la vieille. J'ai entamé une non grève de la soif près du téléphone. Je me sentais moche, meurtrie, merdique, morveuse, microbienne, martyre, mauvaise, moulue, malaxée, méconnue… Ernesto a passé la nuit avec moi, il avait peur que je me suicide, il m'a dit. Cette phrase m'a fait réfléchir. La folie était proche désormais, et tel Artaud, l'éditeur en moins, je sentais son souffle morbide siffler dans mes oreilles.
 
Qu'est-ce qui se passait avec moi pour que tout foire tout le temps avant même que ce soit commencé ? Je veux dire, qu'il ne se passe rien, c'était déjà très éprouvant, mais ce côté pervers de la vie, je te donne une becquée et je t'arrache le plat des mains, était carrément INSOUTENABLE.

  • Moi qui ai perdu un mari au front, j'avoue que cette attitude aussi extrême qu'immature me sidère…

Mais le manque, Baba. Le puits en soi. La vie qui passe. Les enfants des autres. Les projets des autres. Et toi, toujours assise comme la reine de l'acné, sur ton banc, au bal de la première à la dernière chance. Je ressentais ce que doit ressentir un jeune frustré qui brûle des voitures, un smicard qui apprend que son patron touche 12 000 euros de prime rien qu'en passant du 31 décembre au Ier janvier. La HAINE. Et le désespoir. Pourquoi moi ? Pourquoi jamais moi ? Pourquoi les autres filles avaient-elles le droit d'être aimées et pas moi ? Pourquoi elles plaisaient et pas moi, pourquoi elles baisaient et pas moi, pourquoi, pourquoi ?
 
La main de Baba s'est posé avec douceur sur ma tête enfoncée dans l'oreiller, abruti de larme. J'ai senti qu'elle avait, malgré tout, de la peine pour moi. Elle m'a dit d'une voix bouleversée :

  • Je vais te le faire buter par un Tchetnik, ce gros connard, tu vas voir ça!
  • NON!

J'ai hurlé, avant que de pleurer à nouveau. Toutes les larmes accumulées dans mon corps depuis au moins 600 ans, corps déserté par l'amour ou à défaut, le sexe (amour de la pauvre), ruisselaient de ma tête à mes pieds. Avant Kimperlé, je ne pleurais pas. Jamais. Laissez vous aller une demie soirée, le cœur, ce vieux bébé, redémarre et c'est la marée… J'allais tout refermer, je serai méchante avec tous les garçons (oui mais lesquels ?), je serai de marbre, ils me passeraient désormais sur le corps sans même ne serait-ce qu'effleurer la surface surfacielle de mon cœur imbécile.
 
Je me suis couchée dans les larmes et la crevure d'en soi. Dans mon malheur, j'avais au moins Baba qui dormait à côté et Ernesto, dans mon lit, la couverture bien tirée sous sa langue. Ernesto qui m'a dit, on est jamais que mercredi, et puis, merde, il est peut être mort, non ?
 
J'avoue que cette idée m'est apparue égoïstement plus plaisante que le plaquage sur le sol après chute de 120 mètres de haut. Sur ce, je me suis enfin endormie. 

One comment on “Marie a le blues (des suites du mariage I, II, III)

  1. Reply La Vérité Sep 5,2006 10:51

    Ah ah qu\’est-ce que ej t\’avais dit hein?! ce type sentait le coup mal fourré à dix crêpes à la ronde..; et toi, toujours aussi benoîte et aspirante malgré les longues années dévalées, tu filais vers le gouffre, le coeur en bandoulière comme si à notre époque, c\’était ça l\’armement d\’une fille moderne… pfuit. 🙁

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