Un gars bien même s’il pique

h_9_ill_809120_gideon-levy.jpgGidéon a honte de ce que fait subir son pays aux habitants d'à côté. Gidéon a honte pour lui et ses concitoyens. Avant Gidéon était comme eux, comme Golda Meir le leur avait appris, les Palestiniens ? Ils n'existent pas ! Gidéon refuse ce way of life, ne pas voir, c'est y échapper. Il pense curieusement que ce que fait subir l'armée israélienne (très soutenue par tout le monde) n'est pas une bonne façon d'envisager l'avenir et ne fait certainement pas honneur au principe d'humanité.
 
Gidéon est journaliste pour Haaretz (journal de gauche israélien), et couvre depuis 20 ans l'actualité des Palestiniens sous occupation (dont tout le monde s'en fout, de George à Jacques en passant par Angela et les autres). Il essaye de faire passer sa révolte tout en éclairant la lanterne (obscure) de ces concitoyens. Gidéon dit enfin, tout simplement, sans se tourner dix fois son doigts là où je pense, le roi est nu ! Et même si ça ne change rien, ni à la vie des uns ni à celle des autres, ça fait du bien !!

Extraits de l'article qui lui est consacré dans le Monde du 4 septembre :
 
Une épine dans le désert". Le 25 août, quand les médias israéliens n'évoquaient que le "séisme" généré par l'"échec" de la guerre au Liban, Gideon Lévy, lui, rédigeait sous ce titre sa "story" hebdomadaire dans le supplément du quotidien Haaretz. Un reportage à Shoka – "épine", en arabe -, un village miséreux de la bande de Gaza. En un mois, quand tous les regards se portaient vers le Hezbollah, dix-sept Palestiniens y avaient été tués par l'armée israélienne.
 
Gideon interroge les habitants, dépeint leurs maisons. Chacune porte la trace de balles ou d'obus israéliens. Murs effondrés, éventrés – "une combinaison de destruction et de pathétique tentative d'y maintenir un semblant d'humanité".
 
(…)
 
(…) Gidéon Lévy avait décrit la vie quotidienne des Gazaouis privés, en plein cagnard d'août, de 60 % de leur électricité. Quand il en parle, sa voix trahit sa désolation. "Sans réfrigérateur, impossible de garder du lait frais pour les enfants." Selon l'armée, le bombardement des centrales visait à "perturber l'activité des réseaux terroristes". Une "misérable justification", dit-il. Israël contrôle toute l'alimentation électrique des territoires palestiniens. Si Tsahal avait voulu l'interrompre à Gaza, "il lui suffisait d'actionner une manette".

"Sarajevo, dit-il, est à Rafah." Il en sait quelque chose : son journal l'y a envoyé, pendant la guerre en Bosnie. Que tant de ses compatriotes osent comparer Sdérot, le bourg israélien frappé par des obus de mortiers artisanaux lancés de Gaza, à Sarajevo l'"écoeure". En cinq ans, les tirs palestiniens ont fait deux morts à Sdérot. Il y en a eu près de 3 000 à Gaza. "Presque 200 depuis la capture du caporal Gilad Shalit le 25 juin, dont un tiers d'enfants. Il y en a tous les jours, trois encore ce matin", dit-il lorsque nous le rencontrons, ce 22 août. Il suffit de se rendre dans les deux villes pour savoir laquelle est Sarajevo, clame-t-il. "Mais qui, chez nous, se rend à Rafah ?"

L'ignorance volontaire de la réalité de l'occupation, l'autojustification et la conviction d'être, eux, les victimes", que partagent la plupart des Israéliens, c'est contre "ça", et "à cause" de ça, qu'il écrit. "Pour que personne ne puisse dire : "Je ne savais pas."" Quand viendra le temps des historiens, ceux-là verront, affirme-t-il, qu'en Israël, lui, sa consoeur Amira Hass et quelques rares autres "ont tenu la chronique de l'occupation". "Même si ça n'intéresse presque personne dans mon pays", ajoute-t-il.

"Mon pays"… Gideon Lévy ne se connaît pas d'autre identité qu'israélienne. Un enfant de Tel-Aviv, l'industrieuse, la laïque, la jouisseuse. La "catin", disent des religieux. Mère venue de Tchécoslovaquie, père d'Allemagne, en 1939. Un "vrai" réfugié, dit-il, docteur en droit devenu ici vendeur ambulant de gâteaux pour nourrir sa famille. Gideon, lui, est éduqué dans les meilleurs établissements publics. Jeune travailliste, il devient en 1978 porte-parole de Shimon Pérès pendant quatre ans.

(…)

Devenu journaliste, durant la première Intifada (1987-1993), son photographe lui dit qu'une Palestinienne, partie accoucher dans une maternité de Jérusalem-Est, avait été refoulée par trois barrages différents. "Je n'y ai pas cru. Des sadiques à un barrage, c'était possible. Trois barrages, non." Il enquête. C'était vrai. Au troisième barrage, la femme avait accouché dans le taxi, puis supplié les soldats de la laisser là mais d'emmener son bébé à l'hôpital. "Ça aussi, ils l'ont refusé." Elle a fait le parcours à pied. A l'arrivée, l'enfant était mort.

"Là, j'ai compris que quelque chose d'épouvantable nous arrivait. Nos jeunes ne sont pas des monstres. La plupart mettraient la main à la poche pour les victimes d'un séisme au Mexique. Pourquoi, dès qu'ils font face aux Palestiniens, se déshumanisent-ils ? Parce que la routine de l'occupation les pourrit, les amène à cesser de voir dans les Arabes des hommes comme eux." Depuis, il raconte, sans relâche, "ce cancer qui nous ronge, plus menaçant que tous les terrorismes : l'occupation d'un autre peuple". Sa grande fierté : en vingt ans, pas un seul de ses récits n'a été infirmé.

(…)

Pas de méprise : s'il n'oublie "rien de ce qui se passe à une heure seulement" de son cher Tel-Aviv, il n'est "pas un moine de la dénonciation". Ce séducteur, bronzé et caustique, ne manquerait pour rien au monde ses longueurs matinales à la piscine ni la visite de ses cafés préférés – du genre branché.

(…)

C'est parce qu'il se sent israélien qu'une "culpabilité profonde" l'habite : "Je ne peux pas supporter que tant d'actes inqualifiables soient commis en mon nom." La solitude lui pèse, mais moins que l'hostilité qu'il suscite. Des courriels comme "Merci pour votre indispensable soutien", signé "Adolph Hitler", sont son pain quotidien. Et puis, est-il vraiment si seul ?

Le Monde, 4 septembre 2006, Sylvain Cypel, Gidéon Lévy, une épine dans le flanc d'Israël.

On a toujours besoin d'un Gidéon. Même dans un pays en paix, même dans une ville sans guerre, même dans un quartier sans conflit ethnique, même dans un immeuble uni-blanc, même sous sa calotte crânienne, laïque et privilégiée, un Gidéon ça vous rappelle qu'un des réflexes primitifs de l'homo sapien, du moins moderne, c'est de glisser du pied sous le tapis, ce qui dérange le cours pépère de sa petite vie (Sdf, sans papiers, chômeurs, malades, vieux…) et que ce n'est pas ça être un homme (ou une femme).
 

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