Sorti des ténèbres

Si vous avez raté le début… La princesse Marie Chotek s'est rendu à un mariage en pays bigouden, où elle a fait la rencontre d'un potentiel prince brillant qui, après l'avoir bien asticotée, et alors que tout présageait une fin heureuse (un énième mariage en pays bigouden, allons y folle ville), ne lui a plus donné de nouvelles une fois la capitale retrouvée.
 
Les jours ont passé. J'avais un mal fou à me lever le matin, Ernesto devait m'apporter 3 tasses de café au lit (qu'il renversait régulièrement sur ma couette, ce qui me faisait sentir encore un peu plus violemment tout le pathétisme de ma situation). J'arrivais au travail le cœur en écharpe, brisé, et les acteurs culturels qui étaient nos patients euh clients euh chais pu, n'arrivaient plus à tirer de moi quoique ce soit, ni colère ni tristesse ni culpabilité.
 
Madame Irma avait vaguement flairé quelque chose, et comme le fait que je puisse rencontrer à mon grand âge un mec, lui semblait pour le moins Lourdesque (de Lourdes), elle avait émis la vague supposition que j'avais un cancer (soupir…). Saint François était de retour de vacances, et après nous avoir montré ses 156 photos de chiens, chats et autres bestioles en colo, il m'avait emmenée boire un verre. Malade de ma tristesse qui tenait, il est vrai, plus de l'énormité du désespoir pas déçu que de l'amour brisé, je m'étais confiée à lui.

  • Ah ben ça alors… moi qui croyais que tu étais lesbienne!

Ce qui, vous vous en doutez bien, m'avait fait chaud au cœur. Le plus dur c'est que je n'arrivais pas à comprendre pourquoi ça avait tourné si vite court, qu'est-ce que j'avais fait de mal ?

Le soir, je rentrais après être passée saluer Baba qui, en fait, s'était installée chez moi « au motif qu'elle ne pouvait décemment me laisser dans cet état toute seule ». Super. Le petit prince avait rencontré une nymphette déguisée en rose, et il était bien trop occupé à lui enlever toutes ses épines pour la coucher sous lui, pour avoir du temps pour moi. Ca aussi, ça faisait comme une épine de plus dans le cœur, un pote, un frangin, qui vous laissait choir à un dur sale moment pour une pétasse rencontrée dans une soirée Casimir (des gens de plus de 30 ans qui se réunissaient sur le thème de l'île aux enfants, débile).
 
Je me couchais après quelques verres et mes nuits étaient comme des trous dans la voie lactée, elles m'avalaient pour me recracher le matin, météorite qui tombait, tombait, tombait… jusqu'au soir, où elle repartait au ciel des trous.
 
Après ces jours glauques glissant l'un après l'autre, j'eus au moins alors le bonheur de revoir Hanan qui, elle, m'avait appelée très vite après ses vacances. J'ai été dîner chez elle, j'ai fait connaissance de son mari, un géant brun aux sourcils ogresques, elle faisait toute petite à côté de lui… Leur amour sautait aux yeux, et j'ai ressenti une pointe d'amertume (enfin, une pointe… un tombereau plutôt). On a bu de la rakjia et je me suis retrouvée à raconter ma vague peine de cœur à un couple de réfugiés politiques dont l'une avait été blessée par balle à Sarajevo et l'autre, avait subi 3 ans de guerre dans une ville coupée du reste du monde par des tueurs acharnés. Hanan avait soupiré, elle trouvait les garçons français falots… frileux et jaloux de leur cœur, peu enclins à la passion quoi. Bizarre, bizarre. Plus tard, elle devait me raconter l'histoire de son ami d'enfance, Milan, dont la mère, « la plus belle femme de Sarajevo », avait été assassinée par son mari, ivre de jalousie (et de rakjia). Je comprenais mieux le «falot »…
 
Ce fut une soirée très sympathique où ils me racontèrent leur épopée, de la guerre en Bosnie à leur arrivée en France, Hanan étant arrivée 2 ans avant Emir. Nous bûmes beaucoup et un ami à eux, un slave dans la grande trentaine, Zoran, passa en cours de soirée pour leur claquer une bise (et boire dix grands coups). Il me dévora des yeux, pas du tout fâlotement je dois dire, je devais apprendre plus tard qu'il rêvait de se marier avec une française brune et pas trop grosse, même très âgée (plus de 30 ans)… Il me raconta comment il avait tué des hommes, des tchetniks (combattants et/ou violeurs serbes), et me montra sa blessure de guerre (une énorme cicatrice au ventre). Un frisson me parcourut m'échine… Marc me parût soudain bien euh… falot.

Je te souhaite, me dit Zoran gravement en fin de soirée, de n'avoir jamais à subir ce que nous avons subi… la guerre est un poison qui dure longtemps. Un autre frisson me traversa, quelle soirée !
 
En rentrant, sur mon vélo, je fantasmais légèrement sur Zoran. Ca devait être quelque chose de faire l'amour avec un type comme lui ! Hanan m'avait invitée la semaine prochaine à une grande fête bosniaque, un méchoui, et on devait aller visiter le Louvre toutes les deux. J'avais l'impression de revivre…
 
J'eus alors la surprise complètement démoniaque de découvrir en rentrant un message de Marc sur mon répondeur.
 
Salut belle brune, désolé pour mon long silence… il m'est arrivé un sale truc… avec ma logeuse bigoudène… je te raconterai ça quand on se verra… car on se voit bientôt hein ! Rappelle moi vite, je ne me coucherai pas avant d'avoir eu ton coup de fil !
 
Toutes mes bonnes résolutions s'écrasèrent aussitôt. Je regardai l'heure, il était plus de 2 heures du matin. Je réussis l'incroyable tour de force de décider de ne l'appeler que demain matin, avant d'aller travailler.
 
Je ne fermais pas l'œil de la nuit ou alors, pour rêver de snipers tirant sur des vieilles à cabas ou sur des enfants, tel le petit garçon dont la photo avait fait le tour du monde, abattu au marché de Sarajevo, et gisant dans une flaque de sang presque plus grande que son petit corps…. Br.
 
Le lendemain matin, à 7 h 30, je l'appelais. Après avoir vingt fois répété ce que j'allais dire. Je tombais sur sa messagerie. Bonjour, Marc la patate, je suis pas là ou en ligne, insultez moi après le cling cling sonore… Je raccrochai. Pour rappeler aussitôt. Bonjour, Marc la patate, je suis pas… Je me grattai la gorge. Bonjour, c'est Marie, appelle moi pour qu'on se voit. Cling. Nul. Plat. Falot.
 
De toute la journée, je n'eus aucune réponse. Honteusement, je laissais un second message. Le petit prince, qui m'avait invitée à dîner dans sa cabane, me dit que j'étais une pure noix, une vraie gourdasse, il fallait tout au plus rappeler qu'une fois, et dire, je suis assez surchargée en ce moment, peut être en fin de semaine prochaine… ? Ce qui fait qu'après avoir mangé de sa dînette, je suis rentrée chez moi dans un état de déliquescence avec un remords grand comme si j'étais une criminelle. Baba m'a dit :

  • Ce garçon a un problème… laisse choir!

Impossible. J'ai essayé de penser à Zoran, mais l'image de Marc écrasait tout. Tout. Je me suis regardée dans la glace et je me suis dit que si on m'avait dit quand j'étais petite que j'allais autant en baver rien que pour être aimée comme les autres, je me serai jetée sous un wagonnet à la garderie.

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