Sarajevo, mon amour

18668074.jpgHanan m'a invitée pour la première de Sarajevo mon amour, le film de Jasmila Zbanic qui a obtenu l'ours d'or de Berlin en 2005.

C'était à l'Unesco et ça m'a fait tout rigolo de me retrouver dans un hémicycle comme si on allait décider du sort du monde. Bon, ok c'est l'Unesco et pas l'Onu, mais c'était troublant. Elle m'a présenté des amis à elle, des Bosniaques, la plupart arrivés en France avec la guerre et qui nourrissaient des liens poussés de communauté, renforcés par leur exil (et leur passé douloureux ). Ils parvenaient, pour la plupart, à parler remarquablement une langue, le français, apprise sur le tas à l'âge mûr, tout en redémarrant souvent avec succès une seconde vie. Il y avait bien sûr Milan, le Combattant, qui m'a encore dit après le film, je te souhaite de ne pas subir ce que nous avons subi, c'est trop la merde…

Sarajevo, mon amour, c'est l'histoire d'une mère, Esma, qui élève seule sa fille, Sara, à qui elle raconte que son père est en mort en héros durant la guerre. Elle travaille pour gagner (chichement) sa vie dans une boîte de nuit peuplée de gens plutôt vulgaires… le chanteur qui anime la scène, tout comme les danseurs (cheveux longs et gras) et danseuses (gros seins, robe moulante), donnent la furieuse impression d'une mode datant des années plus les nôtres, un mélange de disco et de boites pour camionneurs en manque, sans oublier quelques voyous mafieux qui continuent leur guerre par d'autres moyens.

Une partie du film est consacrée à la quête d'Esma pour dégoter les 200 € qui permettront à sa fille de partir avec sa classe en excursion (l'école bosniaque n'y va pas de main légère…) tandis que la dite enfant, mignonne à croquer (et à gifler parfois), devant les silences de sa mère relativement à son père défunt et à sa lutte pour survivre, glisse lentement vers une forme de délinquance en jouant du pistolet avec son amoureux buissonnier.
 
Après un démarrage un peu lent, on est gagné peu à peu (moi du moins) par un charme qui tient essentiellement aux personnages et à la ville ex-martyre qui, par petites touches, nous restituent le drame d'une guerre forcément mal digérée. On sent bien que quelque chose va exploser… le something must happen couve sous la cendre. Et la tension va grandissant, avec ça et là des petites touches d'un humour noir que j'allais apprendre à connaître avec Hanan et ses amis.
 
La mère, Esma, jouée par une actrice célèbre de Belgrade, Mirjana Karanovic, comme la fille de 12 ans, Luna Mijovic, petite nymphette en format garçon manqué, personnages admirablement interprétés (la gamine est assez extra dans son genre), nous entraînent progressivement vers le drame, et ce qui au départ semblait non pas léger (vu le sujet…) mais anecdotique voire à peine ébauché, devient soudain grave, et plein de douleur. Il faut taire ici le secret de la mère, même si ce sera sans doute divulgué par tous les crétins de critiques qui adorent vous raconter un film avant que vous n'alliez le voir, car la scène dans laquelle la mère crache ce secret à la face de sa fille est d'une violence et d'une douleur qui font voler en éclats le relatif ronron qui précédait sa révélation…

La guerre est là, encore et toujours, et la mère comme la fille pourraient bien sombrer, l'une dans la dépression et l'autre, dans le désespoir et la délinquance. Pour lutter contre la douleur, des femmes se réunissent dans un groupe de parole animé par une thérapeute, livrant chacune à leur tour, leur mal de guerre. Esma se tait, jusqu'au jour où, ayant craché à la face de sa fille son secret, à son tour, elle livre aux autres le récit de son mal à elle…
 
Bref. Quand on est sorti de la salle, j'avais du mal à regarder Hanan et ses amis, qui pourtant riaient et se tombaient dans les bras des uns des autres selon ce que j'allais apprendre à connaître, la retrouvance à la mode bosniaque (gros bisous, grosses embrassades, y compris entre hommes…). Hanan m'a dit que depuis la guerre, depuis qu'elle était en France, elle ne ratait aucun film sur son pays, et qu'au fur et à mesure où les années passaient, elle anesthésiait peu à peu le souvenir… C'est ma thérapie à moi ! Elle m'a dit en riant, le nez dans une coupe de champagne, après qu'elle ait forcé le barrage des body gards qui gardaient l'entrée de la manne réservée au cercle des privilégiés. Je devais apprendre à connaître la force de Hanan, derrière le sourire, il y avait de la douleur, certes, mais il y avait aussi un immense goût à vivre qui passait par le bonheur tout simple d'être avec les autres. Elle était une des rares à avoir su conserver certaines amitiés que d'autres avaient enterré pour des motifs de guerre… La guerre a gâché une partie de ma vie, elle rigolait, je vais pas lui laisser bousiller mes amitiés non ?
 
J'oublierai jamais le visage de mes amis morts, a ajouté Milan qui passait par là, un gros cigare à la main, je te souhaite de ne jamais voir le visage d'un de tes mais morts.
 
Euh en effet.
 
Avec tout ça, j'en avais oublié Marc… quand soudain, mon téléphone a sonné alors que je pédalais furieusement en direction de Tintamarre, le sang plein de bulles et le cerveau émotionnel débordant d'images. J'ai stoppé net, je l'aurai cette fois, et j'ai décroché.

  • Allo…
  • Allo, c'est Marc!

Voix pleine d'allégresse me faisant soudain douter de la solidité de ma raison : avais-je dramatisé excessivement la situation ?

  • Désolé d'avoir tant merdé pour te rappeler…
  • Ben euh…
  • Je te raconterai ce qui m'est arrivé… ohlala…

Je doutais que ça puisse avoir la force d'un drame bosniaque.

  • On peut se voir bientôt?
  • Euh oui… (bravo Marie)
  • Demain?
  • Euh oui… (je devais voir Aveline)
  • Bon ben viens chez moi si tu veux?

Quoi. Carrément. Déjà. Non. Un lieu neutre.

  • Sarajevo? J'ai proposé.
  • Comment? Il a demandé fort surpris.
  • Rien, je déconnais… euh… on pourrait se retrouver à Pas folle la vache, un petit resto sympa vers la Pastille? Tu connais?
  • Non mais donne moi l'adresse!

Je lui ai donné l'adresse, puis il a raccroché en me disant qu'il était dans les toilettes d'amis chez qui il était invité, qu'il devait donc rejoindre, et qu'il n'avait cessé de penser à moi depuis Kimperlé…

  • Gaffe, m'a dit Baba quand je suis rentrée, ce garçon sent le monoxyde de carbone à plein nez…
  • Peuh…

Elle buvait une tisane à la rakjia en jouant aux échecs avec Ernesto qui avait daigné quitter les arrières du frigidaire pour ce faire. Je lui ai raconté Sarajevo mon amour, elle a pris cet air qu'elle sait si bien prendre, du-bi-ta-tif. Elle m'a appris ensuite que nous étions invitées à déjeuner chez mes parents dimanche prochain. La tasse. Et elle m'a dit de bien vouloir aller me coucher et de cesser de jouer les ingrates relativement à mes vieux à qui je devais la vie, l'éducation, et Tintamarre.
 
En partant me pieuter, j'ai eu l'image soudaine de Sara et sa mère, dans une de leurs prises de bec quotidiennes… je me suis couchée, le cœur ivre de tout.
 

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