Le furet et la belette

 Si vous avez raté le début… La princesse Marie Chotek après être demeurée sans nouvelle aucune de son meilleur espoir masculin du moment, Marc, a été finalement recontactée par ce dernier présentant toute l'allégresse de qui appelle son meilleur espoir féminin. Rendez-vous fut pris à Pas folle la vache, dans le quartier de la Pastille.
 
Le jour du rendez-vous, j'étais dans un état comme si je passais mon bac pour la sixième fois. Mon cœur battait la chamade, mon ventre battait la torsion, et le pire c'est que si je me demandais, Marie, en toute objectivité, es-tu si amoureuse que ça ?
 
A vrai dire, j'avais tellement attendu, puis désattendu suite à sa non réapparition, que j'avais les nerfs usés, y compris ceux du cœur et de la mémoire tangible. Je ne souvenais même plus de sa trombine, c'est dire. Je crois bien que l'aspect basique de la rencontre tel que vécue par des filles normalement alimentées était complètement écrasé par ma sous-alimentation chronique : au lieu de me sentir excitée de ce que j'allais peut être passer un bon moment, j'étais complètement obnubilée par, est-ce que ça va marcher, est-ce qu'il est pour moi, est-ce que c'est Lui ? Comme une chômeuse longue durée, je ne voyais plus que la sortie du tunnel et la fiche de paye régulière. Mauvais ça.

J'essayai alors de penser à autre chose, de pratiquer la diversion chère à tout stratège. A midi, je me forçai de déjeuner avec Saint François et de lui poser plein de questions passionnément intéressées sur les animaux en colonie de vacances.

  • Quel sport pratiquent-ils?
  • Mettent-ils la table?
  • Sortent-ils ensemble?
  • Dansent-ils en boîte de nuit? Et si oui, sur quelles musiques?

Etc. Ca m'a fait gagner une ½ heure de paix cérébrale, mais dès que j'ai été devant mon écran, les abeilles ont repris.

  • Et si ça marchait pas?
  • Et si on avait rien à se dire?
  • Et si c'était pour me dire, c'est pas possible, qu'il m'avait convoquée?
  • Et si j'étais atteinte du syndrome yeux-collés-plafond pendant l'acte coïtal?
  • Ou de celui planche-à-pain?
  • Ou de vaginite aigue?

Quand vint l'heure du rendez-vous, je suis partie telle une condamnée à mort. Je ne parvins à me calmer qu'en me disant que c'était pas un mec pour moi, qu'il était visiblement instable et menteur, que j'avais toujours détesté moralement ce genre de type, que sortir avec lui, ce serait comme sortir avec Nicolas Sarkozy. Etc. Je me suis sentie mieux. J'en avais rien à battre de ce type mais oui. Ca et l'incantation au Destin, si ça doit marcher, ça marchera, sinon, c'est même pas la peine de s'acharner. Il vaut mieux fausse-coucher à un mois qu'à cinq. D'accord, c'était pas furieusement battant comme façon de procéder mais j'ai toujours adopté cette fine stratégie, s'habituer à l'idée d'échec plutôt que de s'exciter sur celle de victoire… c'est sans doute pour cela me direz-vous qu'à 98 ans, je suis toujours seule et que je boucle mon 78ème bilan des aides et placements publics aux artistes méritatoires de c'pays.
 
En tout cas, ça plus un kir (il était pas encore là), je me suis sentie mieux. J'ai commencé à lire avec grande attention mon Courrier international (la princesse s'intéresse à la vie du monde, elle est conscientisée et profonde), mais j'ai arrêté quand je me suis aperçu que je n'avais pas dépassé la première phrase : les Israéliens se retirent du Liban, tandis que la Finul… Blabla.
 
¼ d'heure de retard. J'ai pris un second kir. J'ai regardé autour de moi. Des tas de vaches, je veux dire, en matière de décoration, meubles-vaches, tables-vaches, peintures-vaches, assiettes-vaches, verres-vaches, serveuses-vaches… ça commençait à me monter à la tête (mais c'était peut être dû au second kir, avalé à jeun). Un couple s'embrassait follement et l'espace d'un instant, j'ai cru que c'était Marc et Parfaite. Mais non. J'ai mis au moins 5 minutes pour faire redescendre mon cœur de ma gorge à son logis, pour faire cesser le tremblement de mes membres et refouler la nausée. Trop chouette. ½ heure de retard. Toujours pas de furet. J'ai commandé un troisième kir, bourrons-nous la gueule, allons y, folle ville ! J'ai commencé à sentir monter quelque chose en moi de l'ordre de la colère. Toutes les vaches se marraient, alentour, et des tas de couples s'embrassaient dans tous les coins. Qu'est-ce que j'avais fait hein au bon Eros ? Quelqu'un pouvait-il me le dire ? Je n'avais même pas eu le droit d'essayer de foirer encore une fois une relation, merde alors. Est-ce que j'allais être toute ma vie condamnée à regarder des tournages sans être dans le film bordel de merde ???!!!! Pauvre petite bulette, victime éternelle des méchants mauvais odieux furets…
 
Au quatrième kir (une heure de retard), je suis montée sur la table et j'ai insulté le monde entier (les amoureux) en arrachant tous mes vêtements tout en peignant sur les murs avec mes doigts et mon caca des fuck fuck fuck…

  • Salut Marie! Oh mille excuses! Le périf était bouché et j'arrive de banlieue…

J'ai relevé la tête, abrutie de cassis alcoolisé, Marc se tenait devant moi, avec un énorme sourire. Incapable de parler, je me suis mise à pleurer comme un veau. La honte. Affreux. Sortez moi ça de cette salle immédiatement. Remettez la dans sa cage, et qu'on en parle plus.

  • Oh je suis vraiment désolé, Marie… je ne pensais pas… je n'ai que 10 minutes de retard…

Je sanglotais éperdument, toutes mes fines stratégies en miette.

  • Oh ben ça alors… Marie!

Et vlang. Se tenait devant moi Charlotte, la mère de famille qui pourtant jamais ne sortait de sa zone piétonnière jardins aménagés, depuis le cisaillage de son ultime cordon ombilical. Elle était là, avec son jules, et un autre couple qui se tordait le cou à essayer de bien me voir pleurer.

  • Qu'est-ce que tu fais là? J'ai réussis à articuler platement.
  • On est de sortie! Elle a braillé joyeusement. C'est la sortie du mois! Restaurant pour les pauvres mères de famille! Mais… tu pleures?

Qu'elle a remarqué finement.

  • Je viens de la demander en mariage… a gloussé Marc en passant un bras de petit propriétaire t'es rien autour de mes épaules. C'est l'émotion…
  • Ah ben bon courage, a gloussé en retour la Charlotte, demander en mariage la Marie c'est comme de demander à Bush de réciter la Fatiha!

Charlotte a des lettres (coraniques), vu qu'elle a fait Langues O avant de se remplir la poche à mômes. Mais qu'est-ce qu'elle fichait là cette mémère ?

  • C'est une façon de parler… il a roucoulé Marc. Bon, à part ça, je peux en profiter un peu de ma poulette?
  • Bien sûr, bien sûr… a répondu vivement Charlotte, bonne soirée!!!

Et elle a filé avec ses paires s'asseoir au bout du resto, tout en me faisant le signe, on s'appelle hein… J'adore. Si elle m'avait pas vue ce soir là en compagnie sexuée, elle aurait eu de nouvelles de moi rien qu'en recevant mon faire-part mortuaire.
 
Mes larmes ont eu au moins le mérite de détendre d'un seul coup l'atmosphère. J'ai balbutié une vague histoire de Baba aux portes de la mort, et Marc n'a pas insisté. Il m'a expliqué que sa logeuse biboudène était une folle, elle s'était soudain découvert le béguin pour lui et avait débarqué toute affaire cessante avec sa coiffe et sa valise à la crêperie du départ, près de Montparnasse, le sommant de venir de suite sinon elle se tuait en avalant dix complètes d'un seul coup…

  • Tu mens, je lui ai dit en riant.
  • Bon, d'accord, elle n'avait pas de coiffe…
  • Tant pis, j'ai fait en haussant les épaules, même si c'est des menteries, c'est bien rigolo!

Et il m'a alors embrassée avec grande ardeur. Puis nous avons longuement discuté de la Vie, puis de mes Œuvres, publiées aux éditions du tiroir, il était très intéressé et très impressionné par ma vie d'artiste (et employée de bureau). C'est toujours très gentil de la part des gens, surtout des gens mecs, de s'esbaudir de ça mais bon, au fond, ça ne veut rien dire vu que les éditions du tiroir ne sont pas distribuées sur cette Terre. On s'est soudain retrouvés dehors, main dans la main, il était plus de minuit et chez qui on allait aller hein ? J'ai soudain réalisé que Baba ronflait chez moi depuis plusieurs jours et que c'était absolument impossible de ramener chez soi un homme quand on a une grand-mère ronfleuse. Devant mon refus, non explicité cela dit en passant, Marc a alors dit :

  • Nous voilà réduits à aller à l'hôtel vu que ma logeuse a gardé les clés de mon chez moi…
  • Non?!
  • Non… mais je ne peux pas te recevoir chez moi… parce que crois moi si tu le veux bien, mais j'ai écopé de la garde d'un python géant…
  • Tu te fous de ma gueule?!
  • Oui. En fait, crois moi si tu le veux bien, mais j'ai… ma grand-mère. A demeure. Pour la semaine. C'est une dingue de monuments nationaux et elle est venue à Paris pour visiter tous les musées… si tu veux, tu peux venir mais on dort dans le séjour avec la porte ouverte (elle ne peut pas dormir la porte fermée). Ca va pas être la soirée érotique su siècle quoi…

Eh bien, croyez-moi si vous le voulez bien mais j'y ai été. Je le tenais. Il n'allait pas me filer entre les doigts. J'étais prête à aller vérifier moi-même qu'une grand-mère ronflait bien sous la couette de sa chambre.

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