Nuit d’enfer

Pour ceux et celles qui auraient raté le début de soirée (le renard et la belette)… Marie C. employée de bureau et auteur non imposé de son état, a réussi enfin à revoir le prince breton, Marc X, dans le cadre d'un dîner avalé sans goûter (l'émotion) au restaurant Pas folle la vache. A l'issue de ce repas, la question du lieu où prendrait place le premier coït s'est posé… les grand-mères respectives ayant élu domicile chez chacun d'entre eux, il a finalement été décidé que le non-coït aurait lieu chez l'homme.
 
On est entrés sans un bruit dans l'appartement. En fait, c'était vraiment pas la peine de faire attention, la télé braillait à flots ouverts devant la grand-mère, affalée endormie sur le canapé… où nous devions dormir.

  • Merde… a fait Marc.

Il n'était pas trop jouasse je pense que je lui ai forcé la main, j'aurais bien culpabilisé et enclenché la machine à doutes, mais j'étais trop bourrée.

  • Bon, ou je la transporte dans son lit et elle a toute chance de se réveiller… ou on lui pique son lit qui est le mien, en espérant qu'elle pionce jusqu'à demain matin…
  • Ben euh…
  • Merci de tes conseils! A râlé l'autre.
  • Ben c'est pas ma grand-mère…
  • Et la tienne? Elle est peut-être pas pesante non plus?
  • Elle est aux portes de la mort… j'ai protesté.
  • Ah ouais, c'est vrai… bon, on va pas s'engueuler pour si peu… on lui pique le lit et je mets le réveil à 6 heures du mat!
  • 6 heures du mat!
  • Ben oui, c'est qu'elle se lève tôt la vieille!

A 37 et 34 ans. Voir ça. Parce qu'en plus, il a fallu laisser la porte de la chambre à coucher, ouverte, avec la lumière ET la télé tout juste à peine baissée. Interdiction de se coucher nus. J'ai gardé mon jean et mon débardeur sexy, Marc lui a enfilé un pyjama que je vous dis pas combien de points il a perdu. Il m'a pris la main, dans le lit, et il m'a dit que la prochaine fois, ce serait mieux, on se serait débarrassé de nos vieilles… J'ai pouffé. C'était doux, quand même, bon, pas follement érotique je vous le concède, mais les orientaux vous le diront, il faut faire monter le désir, c'est encore meilleur après. En tout cas, lui, il s'est endormi de suite, avec force ronflements, et moi, j'ai pas réussi à fermer l'œil. Ce qui fait que j'ai commencé à faire pédaler le petit vélo que j'ai dans la tête, depuis que j'ai une tête, prise de doutes face à l'engin (Marc) :

  • Etait-il pour moi cet homme aliéné à sa grand-mère, même une fois l'an?

Réfutation : et toi, avec Baba ? c'est bien là l'hôpital qui se fout de la charité ! Ok.

  • Pouvait-on dormir de façon aussi nonchalante et bruyante à côté d'une femme quasi pas nue, pour laquelle on devrait bien plutôt se consumer de désir?

Réfutation : c'est un garçon respectueux, de quoi te plains-tu ? Aurais-tu envie qu'il te prenne sauvagement alors que sa grand-mère dort à un mètre de là, même si vous lui avez débranché fourbeusement ses sonotones ?

  • Etait-il supposément aimant ce garçon ou étais-tu juste un passe-temps ou plutôt une illusion qu'il allait rejeter dans 28 jours (durée d'un cycle)?

Réfutation : nul ne le sait, et tu ne sais pas toi-même qui il est. Il faut laisser du temps au temps.
 
Ces passionnantes réflexions se sont interrompues quand j'ai senti soudain un énorme poids sur ma poitrine. Puis un soupir… J'ai failli hurler !!!
 
En fait, c'était la grand-mère qui était venue se coucher, et comme elle était sans lunettes ni tympans, voire qui sait privée de sens tactile, elle s'était tranquillement couchée sur moi… et elle ronflait maintenant, comme son petit-fils. Merde. Impossible de bouger sans la réveiller. J'ai appelé.

  • Marc! Eh ho Marc!

Rien. Un peu plus fort.

  • Eh! Ho! Marc!

Toujours rien. J'ai tourné la tête vers lui et j'ai vu que l'intérieur de ses oreilles étaient orange vif. Le sagouin, il avait mis des boules quiès. J'ai senti un énorme désespoir m'envahir (peut-on rester décemment avec un homme qui porte des boules quiès dès la première nuit ? peut-on raisonnablement rester avec un homme dont la grand-mère passe la première nuit couchée sur vous?).
 
Je me suis alors transformée en reptile. J'ai ondulé sous la grand-mère, centimètre par centimètre, pour réussir après d'immenses efforts à m'en séparer pour toucher du pied la terre ferme.
 
J'ai pris mes clics et mes clacs, il était 5 heures du matin, superbe nuit, je me suis dit, c'était tellement ridicule que je devais me retenir pour ne pas piquer un fou rire. Dans la rue, les premiers éboueurs enlevaient les ordures, l'un d'eux, un grand noir plein de dents m'a lancé un, la nuit a été bonne fillette ? Qui m'a fait carrément exploser de rire, puis de larmes. Un pur mélange… Le type m'a souri, sa poubelle serrée contre son giron et il m'a demandé si je voulais aller prendre un café après son service, 7 H 30. J'ai vaguement caressé l'option de coïter malgré tout cette nuit en le troquant contre l'ignoble Marc et puis je me suis dit que ça suffisait comme ça. Qu'est-ce que je dirai à mes enfants quand ils me demanderaient, qu'est-ce que je mets pour « métier du père » (réfutation : les éboueurs sont des gens comme les autres et méritent à cet effet d'être aimés comme tout à chacun, surtout que le trésor de l'être figure dans son cœur et non sur sa fiche d'état civil).
 
J'ai réussi à me calmer, en marchant, en me disant que ce qui nous liait avec Marc, c'était avant tout la complicité de l'amitié, que ce n'était pas grave si on n'arrivait pas à coucher ensemble, que l'essentiel, c'était d'avoir une relation même pas sexuée avec un mec. Youpi.
 
Je suis rentrée. Baba ronflait devant la télé allumée à fond. J'ai rejoins Ernesto derrière le frigidaire, refuge de tous les chagrins du jour, et la main posée sur sa petite poitrine qui montait et descendait, je me suis endormie.

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