Le Landru de la Pastille

 Samed soir. Après avoir fait toutes les préparations adéquates (test des cartes, test de la baba, test de la radio -écouter 5 minutes une station sans que le nom de Sarkozy ne soit prononcé…), je me suis rendue à mon rencard avec Marc. Il avait été décidé que l'on prendrait un verre (voire 2,3, 4…) avant que d'aller dîner (…) chez lui.

  • Détends-toi! M'a exhortée Baba, alors qu'assise sur son fauteuil qu'elle m'avait exceptionnellement prêté, je fixais d'un air catatonique l'écran du radio-réveil.
  • Arrive pas, envie de vomir.
  • Bon sang Mémé (mon surnom d'elle à moi), tu vas à un rendez-vous amoureux! Pas à un entretien pour subir une greffe de moelle osseuse!

Je n'y ai pas répondu. Que dire. Mon état moi-même me dépassait par tous les coins. Plus c'était pire, plus c'était pire. C'est à dire, plus c'était, le temps qui passe, plus c'était pire. J'étais revenue à l'âge des cavernes, je crois bien. La peur de la bête, noire, la sienne, et la mienne, madame toute seule tout le temps, cœur sans cœur, corps poussière, ovaires ridés, etc. Affreux. Qu'en aurait fait Balzac, ou Flaubert, Madame Chotek et son agrégé en économie, à la fin, elle n'avalerait pas de l'arsenic mais prendrait du prozac en feuilletant Psychologies magazine.
 
Je suis arrivée dix minutes en retard (le principe restitutionnel) et j'ai commencé à marner vu qu'il était pas là à m'attendre au Peton de brebis, à la Pastille, le lieu dit où on devait se retrouver. Bien sûr, j'ai intensément regretté mon retard, me disant qu'il avait dû être à l'heure, puis partir, devant ma non présence, que c'était bien fait pour moi, etc. Je sais pas vous mais y a des fois où le sentiment de revivre sans cesse la même situation est tellement récurrent que cela en devient éreintant. Je me suis fixée une demie heure d'attente maxi, et après, je ferai une croix, une grosse, une énorme, sur ce Landru de la Pastille…

  • Hello!

Il était devant moi. Lui. Saint François. Cauchemar. Loupiote, où es-tu ? dis moi que c'est la nuit.

  • Qu'est-ce que tu fais là? Dans ce bar-resto végétarien?!

S'est-il encore exclamé, le saint François.

  • J'attends un plat de carottes… j'ai marmonné d'un air sinistre.
  • Ben ça alors! Pour une surprise c'est une surprise! Tu es toute seule?
  • Ce me semble.
  • Je te présente Aurélien… Il m'a fait en rougissant.

Car la vérité était enfin délivrée aux moutons de Dieu réunis au Peton de brebis, Saint François aimait les bêtes et les hommes. Mais non, Aurélien était un basset, son ventre avait déjà ramassé toute la poussière du Peton de Brebis. Brr, brr, brr… ma poche vibrait. J'ai littéralement arraché le portable de mon jean, et je me suis jetée sur lui.

  • Allo… c'est maman! Tu n'as pas oublié le déjeuner demain?
  • Ca va pas, Marie?

Ca, c'était saint François, très inquiet. J'étais figée, comme au bord de. On avait déjà madame Irma placée en institution, j'allais pas m'y mettre à mon tour… J'ai réussi à bafouiller à ma mère, oui, bien sûr, puis j'ai raccroché, je me suis saisis du basset, que j'ai avalé d'un seul coup avant de me taillader le ventre et mourir dans les bras de saint François qui m'a exhortée, as-tu des péchés charnels à me confesser avant que rejoindre notre Père ?

  • Salut Marie!

J'ai levé la tête du dessus de table sur lequel j'étais écroulée, Marc se tenait devant moi, avec un bouquet de pivoines. J'ai réussi à ne pas exploser, ni de colère, ni de chagrin, larmes rentrées, j'ai bégayé…

  • Non mais t'as vu l'heure?! Tu te fous de moi!!!
  • Marie… il a dit d'un ton chagriné. Il fallait que je raccompagne mère-grand à la gare, les embouteillages, trois énormes valises à porter… et puis je n'ai que 7 minutes 20 de retard, n'exagère pas!

J'ai regardé l'horloge, il était effectivement 20 H 07 22 secondes, le temps de lever les yeux. Qu'est-ce qui tournait pas rond avec moi ?

  • Viens, on file à la maison!

On a filé à la maison. Il avait préparé des pâtes à la tomate avec une tonne de gruyère, du vin rouge d'extrême bonne extraction, on s'est servi dans des bols, et on s'est regardés manger, magnifique. Que dire. J'ai essayé de trouver un thème porteur. Ségolène ou Nicolas ? Puis je me suis dit qu'il fallait éviter les discordes politiques et que de toute façon, je n'avais aucune opinion vu qu'on votait pour moi (les médias). As-tu un voyage de prévu cette année ? Bateau. Qu'as-tu vu au cinéma dernièrement ? Affligeant. Digne d'un thé de vieilles. C'est qu'il ne m'aidait pas non plus, le bougre, il mangeait, le groin dans l'écuelle, et j'ai senti quelque chose que je connais bien, le désenchantement desespérentiel se saisir de moi. Ce n'était pas lui, ça ne pouvait pas être lui.
 
Au moment où je m'apprêtais à dire, je préfère qu'on reste amis, il s'est jeté sur moi, m'a serrée contre lui et il m'a dit :

  • Marie… tu es la fille la plus extra, la plus belle, la plus drôle et la plus fêlée que je connaisse!

Dans le texte. Fêlée. Hanan que j'ai eue la semaine d'après au téléphone a hurlé de rire, depuis, elle m'appelle chvaka (fêlée, en bosniaque). En attendant, le temps que je réfléchisse à quoi répondre, et que je réfute ses profondes pensées, j'étais quasi nue et lui de même, les choses vont vite quand on est vieux, et je me suis dit, ah, enfin, je passe à la casserole cette année, j'aurais assuré le coït de l'an… Alors, posé sur le lit, il s'est brutalement endormi. Le vin. Il avait bu plus de la moitié de la bouteille. Merde.
 
J'ai fixé des yeux comme si j'allais mourir la perruque que sa grand-mère avait oubliée, pendue à un porte-manteau, en face de moi.
 
Pour pas désespérer Boulogne-Billancourt, je vous rassurerai en vous disant qu'une heure après, il se réveillait, confus, sa grand-mère, très fatigante, et me couvrait de baisers, de caresses, qui, état de manque oblige, m'ont aussitôt transportée dans un ciel pas fort loin du septième étage. Il a poussé un long cri, jamais vu ça, comme un loup qui se serait coincé euh la chose dans un piège posé par des militants chasseurs anti-réinsertion lupus, et s'est à nouveau endormi. Mais j'avais eu une dose, pas mal du tout, disons, extraordinaire au vu de la pauvreté chronique dont mon pays était atteint. Des impôts je vous dis. Taxer les riches sexués pour redistribuer aux abstinents non pratiquants (de l'abstinence).
 
Je me suis endormie. Le matin a été doux, léger, c'était presque comme une renaissance, je vous jure, je me sentais comme si j'étais une autre, positive, optimiste, douce, généreuse, sa sainteté Marie, ressuscitée par la chair. Devant mes angoisses, il m'a solennellement juré de me rappeler dès ce soir et je suis partie déjeuner chez mes vieux comme si c'était la meilleure de l'année.

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