Mangez des fruits !

Je ressors passablement traumatisée par la lecture d'un reportage publié il y a une dizaine de jours dans Courrier international, et mené par un journaliste italien, dans le sud de son pays, la région des Pouilles. J'aimerais dire que cette situation n'est observable qu'en Italie, j'ai peur qu'on trouve la même chose en France, même s'il est vrai que la puissance publique, j'ose le penser, est un peu moins pourrie et un peu plus présente (pour le meilleur comme pour le pire). Je ne crois pas que, par ailleurs, la Mafia tienne lieu de loi dans nos champs d'agrumes et de légumes.
 
Je ne sais pas si vous avez en mémoire des situations relevant de l'esclavage au bon vieux temps de l'esclavage, quelque chose de plus cruel en tout cas que Autant en emporte le vent, oui m'a'am, quelque chose qui colle vraiment à ce mot « esclavage ». Eh bien, ce qui se passe dans les plantations de tomates du sud de l'Italie ferait presque passer Scarlett O'hara pour une aimable mère Térésa des champs de coton tant la situation de ces clandestins saisonniers des champs de tomates pouilleuses, situation rapportée par le journaliste de l'Expresso qui s'est fait embaucher comme un banal saisonnier d'origine africaine (du sud), est purement et simplement atroce. 

Clandestins d'origine africaine, ou européenne (bulgare, roumain, polonais…), embauchés par un patron italien qui, si j'ai bien compris, tel Dieu, n'est jamais vraiment présent puisqu'il délègue pour ce faire son âme damnée, qualifiée de gorille, une sorte de contremaître pas franchement porté sur le dialogue des classes, italien ou bien arabe, l'idéal étant, si on veut se faire embaucher, de lui apporter une jeune fille pour ses besoins personnels.

Ces clandestins travaillent de 5 H du matin à 22 H, payé au maximum 20-25 euros la journée, une fois déduit le logement et le transport, y a pas de sot profit, jusqu'au champ (environ 5 euros par personne). Logement bien entendu classieux et ultra propre vous vous en doutez, en fait, une étable avec des matelas jetés au sol, deux hommes par matelas, pas d'eau ou alors sale, cause de dysentrie chez celui qui la boit, qui alors ne peut pas aller travailler et se doit de rembourser sa journée de travail perdue par sa faute. Glups. Le tout avec coups à volonté dès qu'on l'ouvre, voire, carrément, assassinat purement et simplement (on parle alors pudiquement de « disparitions »).

Les patrons qui souffrent toujours beaucoup quand il faut payer l'ouvrier, s'offrent souvent la fleur , le jour de paye, de dépêcher les gendarmes dans les champs pour arrêter tous ces clandestins. D'ailleurs, un des ouvriers africains prenant son courage à deux mains demande à son gorille quand est-ce qu'ils vont pouvoir enfin être payés car ils n'ont plus rien à manger depuis des jours et les jeunes commencent à sombrer… Très vite mon frère Inch'allah, répond le macaque. Qui n'en fera rien.
 
Le journaliste raconte ensuite l'histoire de Pavel, un Roumain dans la quarantaine, qui s'est fait ruer de coups pour avoir été accusé « de vol » (il avait laissé tomber un billet à lui sur le sol…), ses camarades de chambrée ont fini par appeler anonymement dans la nuit les urgences, leur collègue étant littéralement à l'agonie. Hôpital, soins, les médecins ensuite le remettent tout gentiment aux carabiniers, qui entre autre aberrations, l'accusent de ne pas avoir voulu signer la déposition (avec deux bras cassés, brochés et plâtrés, c'est effectivement étonnant). On ne sait pas quoi faire de lui, on le remet… à son patron. Caché alors dans une maison abandonnée, il survit grâce à un camarade, tombe malade suite à l'infection de ses blessures, et ne doit la vie sauve (septicémie) qu'à l'intervention d'un avocat miraculeusement dépêché par un ami roumain. Hôpital, prison ensuite, car il n'a pas respecté son avis d'expulsion rendez-vous compte, procès, il risque 1 à 4 ans de prison, et son patron… rien.
 
Quel beau pays, se dit-on, que l'Italie, quelle dolce vita décidément, et manger des tomates a comme un goût un peu trop acide. Ce genre de situations existe peut-être, sans doute, en France, tout également, mais une chose est sûre, c'est que ça ne remonte pas le moral ce bémol. La lecture de cet article est tout simplement désespérante. Et dire qu'on nous exhorte à manger des fruits et des légumes.
 
Pour en revenir au débat sur colonisation et culpabilité, personnellement, je trouve qu'on devrait déjà bien culpabiliser si on veut culpabiliser, sur l'histoire du moment, esclavage moderne et droits de l'homme à 18 vitesses, voire, qui sait, tenter de changer maintenant les choses pour ne pas avoir à culpabiliser après, dans cinquante années, avec cérémonie du pardon, plaque commémorative aux soldats des champs de tomates et discours du Pape en 32 langues.

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